
Cap maintenu, équilibre entre enjeux nationaux et défis régionaux, conscience nationale présente comme rempart de la Nouvelle République, le président Abdel Fattah Al-Sissi a prononcé un discours révélateur à l’occasion du 12e anniversaire de la Révolution du 30 juin. Une analyse et une lecture approfondie du discours du chef de l’Etat.
Par Névine Ahmed
Dans son discours pour le 12e anniversaire de la Révolution du 30 juin, le président Abdel Fattah Al-Sissi a donné des messages stratégiques à double portée- intérieure aussi bien qu’extérieure- d’autant plus que la région passe par un moment critique et des turbulences dans un contexte économique éprouvant.
Le discours de M. le président a été plus qu’un simple hommage à une Révolution historique qui a préservé l’identité séculaire du peuple égyptien face aux velléités d’un groupe extrémiste, qui voulait s’en accaparer. Ce discours s’est ainsi voulu une déclaration lucide, marquant une volonté claire de réorganiser les priorités de l’Etat. Le président a réaffirmé la position régionale de l’Egypte, tout en rassurant le grand public qui vit des difficultés, a-t-il reconnu, et est confronté à des défis de taille.
Selon les analystes, la tonalité du président était à la fois ferme et fédératrice. Le chef de l’Etat a rappelé que, malgré les crises environnantes et les difficultés économiques, l’Egypte poursuit ses démarches pour la construction, le développement et la souveraineté. Une trajectoire qu’elle assume avec fierté, portée par la détermination des Egyptiens conscients et patriotiques.
Sur le plan intérieur
La priorité est accordée au chantier national, a affirmé le président dans son discours. L’un des messages importants adressés donc au peuple, est celui de la construction. Depuis 2013, l’Egypte s’attelle à redéfinir les contours de l’Etat à travers une série de projets nationaux d’envergure, constituant la pierre angulaire de la “Nouvelle République”, a souligné le président Al-Sissi.
Il a martelé : “Depuis 2013, l’Egypte écrit son histoire non pas par des paroles, mais par des actes, non pas par des slogans, mais par des projets”. Une formule qui va bien au-delà du simple constat : elle incarne une position politique assumée selon laquelle la légitimité du pouvoir ne repose pas uniquement sur le souvenir d’une révolution, mais sur la continuité de l’action, expliquent les politologues.
En braquant les regards des Egyptiens sur les exploits réalisés, plutôt qu’aux discours verbaux, le président a voulu concrétiser la Révolution du 30 juin dans le réel, en donnant un coup de projecteur sur les infrastructures modernisées établies, les villes nouvelles sorties du désert, les ports secs et maritimes repensés, ainsi que le réseau de transport routier en expansion. Autant d’incarnations tangibles d’une révolution qui, selon M. le président, se prolonge dans la construction.
Dans ce discours, le peuple égyptien s’est réassuré qu’il est dirigé par un chef ou un président qui est à l’écoute des difficultés sociales, puisque le président Al-Sissi a reconnu les épreuves économiques que son peuple confronte. Il a toutefois appelé à la conscience collective.
Le président Al-Sissi ne se voile pas la face quant à la gravité de la situation économique que traverse la population égyptienne. Il l’a exprimé franchement et sans détour : “Je suis conscient et je ressens pleinement ce que vous endurez. Je vous assure que soulager vos fardeaux est une priorité absolue pour l’Etat”, a-t-il affirmé sur un ton décis.
Par ces mots, le chef de l’Etat reconnaît explicitement l’ampleur des difficultés quotidiennes. Il ne s’agit plus d’une posture défensive ou d’un déni technocratique, mais bien d’un positionnement politique assumé qui atteste d’une volonté de replacer les préoccupations sociales au cœur de l’agenda gouvernemental. Cette reconnaissance est très significative et tranche avec quelques allégations prétendant que les discours officiels tendent à minimiser les doléances du peuple, selon une analyse présentée par l’écrivain journaliste Mohamed El-Galy.
Comme souligné, le président qui a réaffirmé, à plusieurs reprises être conscient et à l’écoute des problèmes économiques et sociaux, a de même rappelé l’importance de la conscience civique du peuple égyptien, poursuit El-Galy, soulignant que le président, fidèle à une rhétorique qu’il mobilise depuis plusieurs années, a de nouveau misé sur “la conscience authentique du peuple”. Toujours, le président Al-Sissi parlait, soit sur son compte officiel sur les réseaux sociaux, ou dans ses discours officiels, a insisté sur la “bataille de la conscience”. Pour lui, c’est la clé de voûte de la résilience nationale.
Et le président d’ancrer ses messages au peuple en soulignant : “La force de l’Egypte ne réside uniquement pas dans son armement, mais dans votre lucidité, votre unité, et votre rejet de toute forme de découragement, de division ou d’appel à la haine”. Par cette formule, indique l’écrivain journaliste, le président ancre son aspiration à une sorte de contrat moral avec la société : la stabilité de l’Etat dépend autant de la conscience collective que des politiques publiques.
A travers ce message, le président Al-Sissi a tenu à souligner que le véritable champ de bataille ne se limite plus au terrain, mais désormais, la bataille se joue aussi, ou plutôt, dans la conscience publique face à la prolifération des rumeurs, des campagnes hostiles sur les réseaux sociaux et des tentatives de saper la confiance dans les institutions de l’Etat.
Et le président d’alarmer contre la menace insidieuse, qui est cette tentative maligne d’érosion progressive de la cohésion nationale sous l’effet de la désinformation. Il établit ainsi un lien direct entre la stabilité politique et la vigilance publique à l’ère du numérique et des progrès informatiques des réseaux sociaux.
La récurrence de l’idée ou de l’appel à la conscience collective, n’est pas intervenue par hasard, mais elle traduit plutôt une tendance ou une orientation accrue par l’Etat, à accorder une attention soutenue à ce qui a été qualifié de “guerre morale”. Cette dynamique s’est illustrée ces dernières années à travers une montée en puissance du contenu médiatique à visée pédagogique, un regain d’intérêt pour les productions culturelles et éducatives, ainsi qu’un discours officiel axé sur la résilience psychologique face aux influences extérieures.
Cette guerre de l’intangible se déroule dans un contexte de pression informationnelle croissante, où certaines puissances étrangères, à travers leurs relais médiatiques ou intellectuels, mobilisent des figures pour propager des récits déstabilisateurs. Dans ce climat, l’État égyptien a fait du renforcement de la conscience nationale un pilier de sa stratégie de cohésion. Cet investissement dans le champ symbolique et culturel n’a pas été vain, quoi qu’il ait contribué à consolider le front intérieur, à forger un sentiment d’unité, et à rendre la société plus imperméable aux tentatives de division ou d’atteinte à sa stabilité.
Dans son allocution, le président Al-Sissi a tenu à consacrer un moment fort pour exprimer la reconnaissance et la gratitude envers les institutions sécuritaires et à la consolidation du lien avec le peuple, notamment les familles des martyrs. Il a salué l’armée, la police et l’ensemble des institutions de l’Etat.
Cette déclaration, simple en apparence, poursuit Mohamed El-Galy dans son analyse, porte en réalité une charge symbolique importante. Elle rappelle que la protection de la patrie ne s’est pas faite sans douleurs ni sacrifices, mais s’est construite au prix de vies humaines. Et le président d’insister sur la nécessité de garder vivant le souvenir de ces pertes- non seulement à travers les cérémonies ou les discours officiels- mais aussi dans la conscience collective du pays.
En rendant hommage aux familles des victimes, et tout particulièrement aux mères des martyrs, le chef de l’Etat affirme que ces sacrifices ne seront jamais relégués à l’arrière-plan de la mémoire nationale et que l’Etat réaffirme aussi sa responsabilité envers ceux qui ont versé leur sang pour défendre le pays.
Sur le plan extérieur
Sur le plan international, le président Al-Sissi a réaffirmé, dans son discours, une position constante : aucune stabilité durable au Moyen-Orient ne sera possible ou réalisable, sans une solution juste à la cause palestinienne.
“La paix ne naît pas des bombardements, ne s’impose pas par la force, et ne se construit pas sur une normalisation rejetée par les peuples”, a-t-il martelé. C’est là, une critique implicite des discours prônant une soi-disant “nouvelle réalité régionale” ou la mise en œuvre d’un projet sous le nom de “Grand Moyen-Orient”, qui fait l’impasse sur les droits fondamentaux du peuple palestinien. Al-Sissi a rappelé que la seule voie vers la paix passe par la création d’un Etat palestinien sur les frontières de 1967, avec pour capitale, Jérusalem-Est.
C’était aussi l’occasion saisie par M. le président d’invoquer l’exemple du Traité de paix égypto-israélien, présenté comme un modèle réussi, né d’une médiation sérieuse, d’engagements clairs et de volonté politique réelle, et non d’un rapport de force imposé.
Le président présente encore une fois l’Egypte comme une voix de la raison dans une région en feu, soulignent toujours les analystes. “Je m’adresse à vous aujourd’hui alors que l’ensemble de la région gémit sous le feu des guerres : des cris des victimes à Gaza meurtrie, aux conflits qui ravagent le Soudan, la Libye, la Syrie, le Yémen et la Somalie (…). J’appelle toutes les parties en conflit, ainsi que la communauté internationale, à écouter la voix de la raison et épargner aux peuples les ravages de la destruction”, a fermement souligné le président Al-Sissi dans son discours.
Selon Al-Galy, ces mots du président ne se limitent pas à réaffirmer la posture connue et inéchangeable de l’Egypte en faveur de la solution politique. Le président présente ici la position de l’Egypte dans un cadre plus large, plus éthique, historique et régional. L’Egypte ne se présente pas comme un simple acteur diplomatique, mais comme un garant de la mémoire collective et des intérêts profonds des peuples.
Ce message rappelle donc qu’en dépit des priorités internes, l’Egypte ne se détourne jamais de son environnement arabe. Elle revendique toujours un rôle de médiateur, porteur de stabilité, à un moment où la région vacille entre chaos prolongé et indifférence internationale.
En conclusion, le président Al-Sissi entend ainsi maintenir l’image d’une Egypte en quête d’équilibre, attachée à une lecture morale des enjeux, à rebours du cynisme géopolitique ambiant.