Pour les uns, ce serait un héros. D’autres le prendraient pour un traître. L’espion ou l’agent secret c’est cet individu qui se trouve, de gré, entre le marteau et l’enclume. En héros, sa mission serait de collecter des renseignements pour les livrer à son pays. Un rôle patriote que beaucoup y renonce au risque de leur honneur voire de leur vie. Or, s’il décide de vendre son âme au diable, c’est là où il se tourne en traître. Il va par conséquent faire jaser autant les masses que les médias. Insultes, menaces de mort et même appels au meurtre, essaiment comme de la mauvaise herbe aux quatre coins de son pays. « A bas le traître », retentirait aux oreilles de celui qui pratique l’espionnage contre les intérêts de sa nation. Le héros, lui, serait en ligne de mire des acclamations et aurait son front ceint de lauriers.
Par : Hanaa Khachaba
Plus de quarante ans se sont écoulés depuis la mort en 1982 de l’espion égyptien Rafaat Al-Haggan, chez lui en Allemagne après une lutte contre le cancer. La mort de cette légende des services de renseignement égyptiens a emporté les secrets les plus dangereux de l’histoire des guerres de renseignement entre l’Egypte et Israël. Raafat Al-Haggan est considéré en Egypte comme un héros national, notamment à la suite d’une série télévisée où il était présenté, sous le nom de « Raafat Al-Haggan », comme un espion égyptien travaillant en Israël pour servir sa patrie. Selon sa veuve, c’est grâce à lui qu’aurait été démasqué l’espion israélien opérant en Syrie, Eli Cohen. Né du nom de Refaat Ali Soliman Al-Jammal, il est resté un citoyen ordinaire méconnu. Même quand le cinéma l’a séduit, il a été affecté à quelques rôles mineurs et avait co-joué dans trois films. Cependant, six ans après sa mort, sa vie a été adaptée en série TV qui a fait fureur auprès des téléspectateurs arabes. Précisément au mois de Ramadan en 1988, la série Raafat Al-Haggan est sortie au jour, jetant la lumière sur les petits détails des missions d’espionnage de « David Charles Samhoun », ou Raafat Al-Haggan, en Israël.
Al-Haggan est issu d’une famille modeste. Son père était un marchand de charbon. Sa mère était une femme au foyer originaire d’une famille prestigieuse. Elle parlait couramment anglais et français. Il a un frère Labib, une sœur Naziha, ainsi qu’un demi-frère Sami. En 1936, sa famille a déménagé au Caire. Notre héros s’intéressait peu aux études. Il avait toutefois une passion pour le théâtre et le cinéma. Son frère l’avait admis à l’Ecole de Commerce de laquelle il a obtenu son diplôme en 1946. Il a commencé à travailler dans une compagnie de pétrole à Ras Gareb (à l’est de l’Egypte, sur la mer Rouge). En raison de son indiscipline, il a été renvoyé puis a déménagé à Alexandrie où il fréquentait des Grecs, des Juifs et des Français. Il a perfectionné l’accent français comme un natif et a travaillé sur un bateau de fret. Il a quitté le pays pour la première fois vers Naples et Marseille avec des passeports falsifiés pour fuir des poursuites après son implication dans des « jeux perdants ». Mais il fut découvert et déporté en Egypte. Al-Haggan a également été interdit de se rendre à certains ports étrangers après avoir escroqué des marins et des voyageurs. Interpellé au Parquet, Al-Haggan a suscité l’attention d’un officier des services secrets égyptiens. Ce dernier a déniché en lui le talent de duper, la capacité de tromper sans soulever des soupçons, des traits caractéristiques d’un bon agent.
En 1955, son parcours d’espion planté au sein de Tel Aviv a commencé. Un parcours jalonné de succès qui a duré pendant 17 ans dans la capitale israélienne, sous le nom de l’agent 313 Jack Beton, qui a mené des opérations clandestines en Israël. Beton a réussi à s’infiltrer dans la société israélienne au terme d’une période de formation en Egypte. Une formation qui a été bien servie par sa fréquentation de Juifs à Alexandrie. Il travaillait aussi dans une entreprise appartenant à un riche juif. Beton a fondé une petite agence de tourisme qui grandit de jour en jour jusqu’à lui permettant de devenir un des grands hommes d’affaires de Tel Aviv. Il était bien connu dans la haute société israélienne et était impliqué dans des projets commerciaux. Beton est alors devenu un ami proche de Moshe Dayan, ancien ministre de la Défense d’Israël, de Golda Meir, ancienne Première ministre d’Israël et d’Ezer Weizman, ancien Président d’Israël. Il fut à deux pas de se porter candidat à la Knesset.
Au terme de sa mission d’espionnage au compte de l’Egypte, il s’est marié avec une femme riche allemande. En 1987, cinq ans après sa mort, les services secrets égyptiens ont révélé très peu d’informations sur cet homme mystérieux et sur ses missions clandestines en Israël, à travers la série TV intitulé « Raafat Al-Haggan ». Depuis lors, Israël ne cesse de prétendre que Jack Beton était un agent double qui travaillait à son service. Il aurait alors permis aux services de renseignement israéliens d’infiltrer leurs homologues égyptiens pendant une dizaine années. Un ancien responsable du renseignement égyptien a cependant réfuté les rapports israéliens disant que l’espion égyptien Refaat Al-Jammal, alias Raafat Al-Haggan, était un agent double travaillant pour le Mossad contre les intérêts égyptiens.
Le général à la retraite Mohamed Rachad, ancien chef adjoint de l’administration du renseignement et qui était en charge de la supervision directe d’Al-Haggan entre 1967 et 1973, dit à Al Arabiya, que les rapports israéliens sont totalement trompeurs, ajoutant qu’il était devenu une habitude du Mossad de diffuser des rapports similaires comme une propagande pour son intelligence. « Al-Haggan était un espion égyptien », a-t-il dit d’un ton sec et tranchant. Toutes les informations qu’il a envoyées sur Israël ont été revérifiées, vérifiées et prouvées sur le terrain. Grâce à ses missions clandestines, l’Egypte a réussi à attaquer Israël dans le vif grâce aux informations qu’Al-Haggan a fournies à l’Egypte, dit Rachad. Rachad a mis en évidence les informations qui ont aidé l’Egypte à construire son bouclier antimissile et à développer ses systèmes de missiles.
Al-Haggan a travaillé dans le cadre d’un plus grand réseau d’agents en Israël, et il a réussi à recruter un certain nombre de hauts responsables israéliens de la défense dont l’information a joué un rôle majeur en faveur de l’Egypte pendant la guerre de Yum Kippour, ajoute Rachad. Dans son autobiographie, Al-Haggan écrit qu’il a continué à travailler pour les renseignements égyptiens jusqu’à ce qu’il quitte définitivement Israël pour vivre avec sa femme allemande en Allemagne. Il a conservé son identité israélienne et a vécu comme homme d’affaires juif Jack Beton jusqu’à sa mort en Allemagne en 1982, en tant que ressortissant allemand.
A savoir…
De bons services secrets devraient rester secrets. Il est donc probable que le meilleur des services de renseignement du monde ne figure pas dans ce classement. Reste que tous les pays du monde ont le leur, avec ses succès, ses échecs, ses fantasmes et ses stars. Mais chut !
1. La CIA ou Central Intelligence Agency est sans nul doute le service de renseignement le plus connu. Sa notoriété est telle que l’on ne peut passer à côté d’un film d’espionnage d’Hollywood sans que son nom ne soit prononcé.
2. Le Secret Intelligence Service (SIS), également connu sous la dénomination de MI6 (pour Military Intelligence, section 6), est le service de renseignements extérieurs du Royaume-Uni.
3. La DGSE, est le service secret en France (Direction Générale de la Sécurité Extérieure).
4. Le ministère de la Sécurité de l’Etat (Guoanbu), appelé aussi MSS (Chinese Ministry of State Security) est l’agence de sécurité et probablement les services secrets de la République populaire de Chine.
5. Le Service fédéral de renseignement, en allemand : Bundesnachrichtendienst (BND), est le service de renseignement extérieur du gouvernement fédéral allemand, placé sous la tutelle de la Chancellerie.
Connaissez-vous ces noms ?
Parmi les agents, on distingue entre autres:
Agent dormant :
un individu installé en toute clandestinité sur un territoire et attendant d’être activé pour une mission.
Transfuge :
un membre des services secrets qui fuit son pays pour se réfugier dans un autre pays, auquel il propose les renseignements qu’il détient.
Walk-in :
un individu appartenant à une organisation considérée comme intéressante par les services de renseignement (service de renseignement adverse, cellule terroriste, etc.) qui vient spontanément proposer sa collaboration à ces derniers.
Agent double :
un agent d’un service de renseignements qui est également agent pour un second service de renseignements, adversaire du premier, pour découvrir ses méthodes, ses officiers traitants, et le genre de renseignements qu’il recherche 3. En revanche, un officier d’un service de renseignements qui espionne pour un service de renseignement adverse n’est pas un agent double4,5 mais une « taupe » (formellement, en anglais, une pénétration ou un agent-in-place).
Agent de pénétration : un agent recruté pour s’intégrer dans une organisation dont il n’est pas membre à l’origine.
Honorable correspondant : un individu collaborant avec un service de renseignement par patriotisme.