


Alors que s’apprête à tomber le rideau sur la 45e édition de l’Exposition Générale, un souffle d’émotion parcourt les allées de ce haut lieu de l’art visuel en Egypte. Plus qu’un simple événement culturel, cette manifestation se dresse, année après année, comme un carrefour des générations, une confluence de styles et d’expériences, une arche vivante où le regard contemporain dialogue avec la mémoire fondatrice du patrimoine artistique égyptien. Cette année, elle n’offre pas seulement les couleurs du présent, mais célèbre avec intensité la trajectoire lumineuse de trois maîtres dont l’œuvre défie les frontières du temps et de la matière.
Ahmed Morsi, l’alchimiste de la mémoire
Entre Alexandrie et Manhattan, entre vers et pigments, Ahmed Morsi tisse un art qui ne se laisse jamais saisir tout à fait. Né en 1930 sur les rivages méditerranéens, il s’imprègne très tôt de littérature anglaise avant de plonger corps et âme dans une aventure plastique insaisissable. Poète, peintre, critique d’art et scénographe, Morsi a inventé un langage aux multiples entrées, façonné dans les cafés de Bagdad et les ateliers d’Alexandrie, nourri par la modernité arabe qu’il contribua à redéfinir, notamment à travers la création de la revue Galerie ’68, creuset intellectuel et laboratoire d’un dialogue audacieux.
En 1974, un appel du large le mène à New York. Dans cette ville qui palpite sans repos, Morsi réinvente ses symboles : des poupées fantomatiques, des crânes de chevaux comme vestiges de voyages oubliés, des figures androgynes flottant entre les mondes, et la mer, toujours la mer, présente non comme décor, mais comme témoin viscéral des mutations intimes. L’hommage qui lui est rendu aujourd’hui dépasse le cadre de l’exposition : il s’agit de saluer une vie dédiée à la quête du sens dans l’image, à l’architecture invisible du souvenir.
George Bahgoury, le trait qui pense
Figure mythique née à Qena en 1932, George Bahgoury est cet artiste qui a fait du dessin un acte de réflexion. Diplômé des Beaux-Arts du Caire, il s’impose très tôt dans la presse égyptienne, redéfinissant l’art du caricature non comme simple divertissement, mais comme arme critique et outil d’analyse sociale. Son crayon, acéré et tendre à la fois, a marqué les pages de Rose al-Youssef et Sabah El-Kheir durant deux décennies d’effervescence.
Paris sera son second berceau. Là, il s’immerge dans les courants de la modernité européenne, tout en préservant les pulsations de la terre natale. En 1990, sa toile Un visage d’Égypte entre au Louvre, consacrant une reconnaissance internationale. Plus de cent expositions collectives, trente-deux personnelles, des récompenses prestigieuses à Rome et à Amman jalonnent son parcours. Peintre et écrivain, il laisse des ouvrages à la fois poignants et irrévérencieux, tels que De Bahgoura à Paris ou Les dessins interdits. Son art est une mémoire en mouvement, une chronique de l’âme égyptienne en exil et en éclat.
Ali Nabil Wahba, le souffle du réel
Moins connu du grand public, mais tout aussi essentiel, Ali Nabil Wahba est l’incarnation du lien indissociable entre l’art et l’existence. Né en 1937 dans le gouvernorat de Sharqiya, formé à la faculté de pédagogie artistique, il fut d’abord enseignant avant de devenir une figure de la gestion culturelle en Egypte. À la tête du Palais des Arts de la Gezira, il contribua à ancrer la création dans la vie publique. Pour Wahba, peindre, c’est vivre autrement, c’est dire l’humain au-delà des apparences.
Son hommage dans cette édition prend la forme d’un rappel discret mais essentiel : l’art n’est pas toujours fracas ni parade. Il peut être respiration souterraine, enracinement silencieux, geste humble mais inoubliable.
À la veille de sa clôture, l’Exposition Générale nous tend un miroir émouvant : celui de la fidélité à l’art comme nécessité vitale. En honorant ces géants, elle nous rappelle que l’histoire de la création est une constellation où chaque étoile éclaire l’autre — et où la beauté est, peut-être, l’unique forme de résistance au temps.





