L’homme est, par nature, un être social. Depuis toujours, il trouve réconfort et sécurité dans la compagnie de ses semblables. La convivialité des quartiers anciens du Caire, où les voisins se saluaient depuis les balcons et où les enfants transformaient les ruelles en terrains de jeux, illustre cette dimension collective profondément enracinée dans la culture égyptienne. Ce mode de vie illustrait une vérité universelle : l’homme aime vivre entouré, car la solitude, par instinct, l’effraie. Cependant, à l’ère numérique et dans un monde régi par des rythmes effrénés, ce besoin se transforme profondément…
Par : Hanaa Khachaba

Les mégapoles égyptiennes, avec leur bruit incessant, leurs embouteillages interminables et leur surpopulation, deviennent pour beaucoup une source de stress plutôt qu’un lieu de convivialité. Le voisin d’autrefois, qui incarnait solidarité et entraide, est parfois perçu aujourd’hui comme une intrusion : trop curieux, trop présent, trop indiscret. Dès lors, une nouvelle aspiration émerge : fuir la foule pour retrouver une intimité perdue.
C’est ainsi que se multiplient les compounds résidentiels dans la Nouvelle Capitale administrative, à Cheikh Zayed ou encore à la cité du 6 Octobre. Ces quartiers fermés, protégés par des murs, des portails électroniques et une sécurité permanente, séduisent de plus en plus d’acheteurs. Pour certains, il ne s’agit pas seulement d’un luxe, mais d’une nécessité. Habiter un compound, c’est garantir à ses enfants des rues calmes pour jouer, des espaces verts bien entretenus, et une protection contre l’insécurité ou les désagréments du voisinage. C’est aussi, pour les classes moyennes émergentes, un symbole de réussite sociale : quitter l’appartement exigu du centre-ville pour une villa avec jardin aux confins de la métropole.

La même logique s’observe sur le littoral égyptien. Les plages de la Côte Nord, autrefois accessibles à tous, se transforment peu à peu en espaces sélectifs. Des barrières se dressent, l’entrée devient payante ou réservée aux résidents, et la mer elle-même paraît privatisée. Pour certains, ces restrictions incarnent une injustice criante, car elles renforcent la fracture entre riches et pauvres. Mais pour d’autres, elles offrent enfin la possibilité de profiter de vacances dans la tranquillité, loin de la surcharge humaine qui rend souvent les plages publiques impraticables.
La question qui s’impose est la suivant : Faut-il y voir un repli égoïste ou une quête légitime de bien-être ? La réponse n’est pas simple.
D’un côté, la vie en communauté demeure essentielle : c’est elle qui nourrit les liens humains, qui fait circuler la solidarité, qui permet d’apprendre la tolérance et de s’enrichir de la diversité. Une société où chacun vit derrière des murs risquerait de se fragmenter en bulles sociales, ignorant les réalités de l’autre. Dans notre Egypte déjà marquée par des inégalités économiques, cette tendance pourrait creuser davantage les écarts. Le danger est réel : à force de se protéger de l’autre, on finit par l’exclure.

Mais d’un autre côté, il serait injuste de condamner ceux qui cherchent à s’éloigner du chaos. Le besoin de tranquillité est tout aussi humain que celui de sociabilité. Dans une ville comme Le Caire, où les embouteillages absorbent des heures chaque jour et où le bruit est permanent, vouloir habiter dans un endroit calme et sûr n’est pas une fuite, mais un choix rationnel pour préserver sa santé et sa paix intérieure. La distance peut alors devenir une forme de liberté, un moyen de se réapproprier son temps et son espace.
Il faut aussi considérer l’impact de la révolution numérique. Les réseaux sociaux, les appels vidéo, le télétravail ont profondément modifié notre rapport à la présence physique. On peut désormais travailler depuis un compound isolé tout en restant connecté avec des collègues au centre-ville ou même à l’étranger. On peut cultiver des relations virtuelles tout en vivant à l’écart de la foule. Ainsi, l’isolement géographique n’implique-t-il plus nécessairement l’isolement social.

Le dilemme, dès lors, ne se réduit pas à choisir entre la foule ou la solitude. Il réside dans la recherche d’un équilibre. L’homme ne peut abolir son instinct social, mais il peut le redéfinir. Il peut aimer le silence de son jardin privé tout en participant à la vie collective par d’autres biais. Il peut se protéger des regards indiscrets tout en restant solidaire des besoins de la communauté. Le bonheur ne se trouve ni uniquement dans l’appartement du centre-ville ni exclusivement dans la villa barricadée d’un compound : il naît dans la capacité à concilier intimité et ouverture, distance et proximité.