Chaque année, le Festival du Théâtre des Amateurs devient une tribune vivante pour les voix émergentes du théâtre égyptien. Entre tradition et expérimentation, il donne la parole à des troupes venues de tous les horizons, offrant au public une mosaïque de récits et d’émotions. Dans ce cadre, la pièce « Convocation d’un tuteur légal » s’est imposée comme l’un des moments forts de cette 21ᵉ édition, par la profondeur de son propos et la puissance de sa mise en scène.
Sous les projecteurs du théâtre Al-Samer à Agouza, le rideau s’est levé sur « Convocation d’un tuteur légal », présenté dans le cadre de la 21ᵉ édition du Festival du Théâtre des Amateurs, placée cette année sous le signe du grand écrivain et artiste disparu Naguib Sorour.
Organisé par l’Organisme général des palais de la culture, sous la tutelle du ministre de la Culture, Dr Ahmed Fouad Henno, et la présidence du général Khaled Al-Labban, le festival a offert au public une soirée vibrante d’émotions et de réflexions.
Montée par la troupe du palais de la culture de Fayoum, la pièce est signée par Mohamed Al-Souri et mise en scène par Karim El-Khouli. Sur scène, un univers à la croisée du réalisme et du symbolisme, où se déploient les blessures silencieuses des familles, les failles éducatives et les cicatrices psychologiques qui façonnent, dans l’ombre, l’identité des individus et, par ricochet, celle de la société.
La représentation s’est tenue en présence du comédien Riyad El-Khouli, président du festival, d’Abir Rachidi, directrice de la manifestation, ainsi que du jury composé du Dr Abdel Nasser El-Gamil, de l’actrice Wafaa El-Hakim et du metteur en scène Adel Hassan.
Un théâtre qui réveille les consciences
Pour Karim El-Khouli, la mise en scène se veut une alerte dramatique : « Le spectacle aborde des déformations cognitives qui naissent au sein de la cellule familiale et qui, lorsqu’elles ne sont pas corrigées, conduisent à l’effritement et à la ruine des liens sociaux. »
Son intention est claire : contraindre chaque spectateur à se confronter à son propre miroir. « J’ai voulu que chacun retrouve un éclat de sa vie ou de celle de ses proches dans cette pièce. C’est un hommage aux opprimés silencieux, à ceux qui se perdent dans les couloirs de l’existence. »
Le décor, conçu par Mohamed El-Gammal, traduit cette plongée intérieure : un espace scénique divisé en quatre parties représentant les lobes cérébraux, chaque scène étant liée à une fonction mentale — vision, mémoire, écoute —, comme si l’on pénétrait directement dans l’esprit tourmenté du protagoniste principal, Yehia.
L’écriture scénique, nerveuse et rythmée, traduit la tension interne du personnage, donnant au spectateur l’impression d’assister aux éclats d’une conscience en lutte avec elle-même.
Des personnages fragiles et puissants
Dans le rôle de Yehia, Mohamed Warabi livre une performance poignante. Son personnage, marqué dès l’enfance par la peur et le manque de confiance, porte en lui les blessures d’une génération entière en quête d’écoute et de reconnaissance.
À ses côtés, Mirna Yasser incarne Hadir, la sœur cadette, une voix fraîche et insoumise qui tente de rétablir l’équilibre dans ce monde familial fracturé.
Autour d’eux gravitent les jeunes comédiens Marwan Ihab, Mohamed Fawzi, Habiba Mahmoud, Ziad Achraf et Mostafa Mahmoud, dans une distribution généreuse portée par l’énergie de la jeunesse.
La critique salue une expérience audacieuse
La représentation a été suivie d’une rencontre critique animée par le journaliste Ahmed Khamees, en présence du metteur en scène Dr Hani Kamal et du critique Dr Tarek Ammar.
Tous ont salué une expérience théâtrale singulière, qui ne se contente pas du récit linéaire mais ose l’expérimentation scénique et symbolique. Pour Khamees, « les personnages semblent participer à une sorte de jeu psychologique complexe au sein de la famille, révélant la profondeur des tragédies intimes qui s’y cachent. »
Le Dr Tarek Ammar a souligné le potentiel de cette nouvelle génération : « Il s’agit d’un théâtre de recherche qui peut ouvrir de nouvelles voies pour la scène égyptienne. Les débuts sont prometteurs, et l’avenir leur appartient. »
Quant à Hani Kamal, il s’est dit touché par « l’honnêteté de l’interprétation et l’apparition de nouveaux visages qui annoncent un renouveau dans le théâtre amateur. »
Un festival qui nourrit la scène égyptienne
Le Festival du Théâtre des Amateurs, organisé par l’Organisme général des palais de la culture sous la supervision du Dr Massoud Chouman, réunit cette année neuf créations théâtrales offertes gratuitement au public.
Au-delà de la compétition, il s’impose comme un laboratoire de créativité, où des jeunes talents venus de tout le pays trouvent un espace d’expression et de confrontation artistique.
Avec « Convocation d’un tuteur légal », le public a assisté à une confession scénique vibrante, une pièce qui transforme la douleur en poésie dramatique et qui rappelle, avec force, que le théâtre reste l’art de l’âme mise à nu.
En donnant la parole aux jeunes troupes, le Festival du Théâtre des Amateurs prouve une fois encore que l’art dramatique demeure un miroir des sociétés et un outil de résistance aux blessures invisibles. Avec « Convocation d’un tuteur légal », c’est toute une jeunesse qui a crié ses silences, ses peurs et ses espoirs. Un théâtre qui ne se contente pas de divertir, mais qui ose troubler, éveiller et réconcilier.