Le tourisme demeure l’un des piliers de l’économie nationale. L’Egypte, riche de son patrimoine pharaonique, copte, islamique et méditerranéen, attire chaque année des millions de visiteurs. Mais face à la concurrence régionale, Dubaï, Marrakech ou Antalya, la question se pose : comment rester attractive sans trahir l’âme du pays ?

Par : Hanaa Khachaba
Les autorités ont entrepris une série d’initiatives ambitieuses : rénovation des musées, numérisation des services touristiques, nouveaux circuits écologiques, projets d’hôtels modernes à Louxor, Assouan et sur la côte de la mer Rouge. Autant de signaux d’un tourisme renouvelé, tourné vers l’avenir. Mais cette modernisation suscite des voix discordantes. Certains y voient un progrès nécessaire, d’autres un glissement vers la marchandisation du patrimoine.
Pour de nombreux experts du secteur, moderniser, c’est survivre. « Les touristes d’aujourd’hui recherchent le confort, l’accessibilité et la connectivité. Il faut que l’Egypte réponde à ces attentes tout en racontant son histoire », affirme un responsable de l’Autorité générale du tourisme.

Les défenseurs du changement mettent en avant la diversification de l’offre touristique : développement du tourisme culturel dans les oasis, promotion du tourisme de conférence, et mise en avant des sites moins fréquentés comme Al-Minya ou Siwa.
Selon eux, l’innovation peut renforcer la mise en valeur du patrimoine, grâce à la réalité augmentée, aux applications de visite virtuelle et aux campagnes numériques destinées aux jeunes voyageurs. Ils rappellent aussi que chaque projet d’aménagement crée des emplois et dynamise les économies locales.
« Préserver le patrimoine, ce n’est pas le figer. C’est le faire vivre dans son temps », soutient une entrepreneuse du secteur hôtelier à Louxor.

Les défenseurs de l’authenticité : Alerte à la dérive commerciale
D’autres voix, notamment parmi les archéologues et les habitants des sites historiques, s’inquiètent de l’impact de cette modernisation rapide. « On ne protège pas une civilisation vieille de cinq mille ans avec des centres commerciaux et des écrans tactiles », s’indigne un chercheur au Centre d’études patrimoniales du Caire. Ils redoutent une dénaturation progressive des lieux emblématiques. Lamultiplication des hôtels à proximité des monuments,la sur fréquentation des sites fragiles, la pollution sonore et visuelle ou encore l’uniformisation des zones touristiques, tout cela risque de faire de ces sites inestimables un nouveau Dubaï où la modernité frappe les yeux.

D’autres part, certains soulignent que l’authenticité de l’expérience égyptienne réside précisément dans la lenteur, la tradition et le contact humain — ce que les aménagements modernes tendent à effacer. « L’Egypte ne doit pas devenir un décor de cinéma pour des touristes pressés », insiste une guide touristique d’Assouan.
Le véritable défi pour les décideurs est de concilier attractivité et préservation, innovation et mémoire. Le ministère du Tourisme et des Antiquités s’efforce donc de promouvoir un modèle durable : respect des normes environnementales, restauration scientifique des monuments, intégration des populations locales dans les projets.
De plus en plus de jeunes Egyptiens, formés aux métiers du patrimoine et du numérique, proposent des solutions hybrides, alliant authenticité et modernité. « Ce n’est pas la modernisation qui détruit, c’est l’absence de vision », conclut un urbaniste participant à un projet de tourisme culturel à Louxor.
Bref, l’Egypte se trouve à un moment charnière : comment transformer son tourisme sans trahir son âme ? Moderniser ? Oui, absolument. Mais à condition que cette modernisation reste au service de la mémoire collective, et non de la seule rentabilité. Le débat reste ouvert, car au fond, il ne s’agit pas seulement de monuments… mais d’identité et d’histoire.