Le ballon de football, surnommé affectueusement par les jeunes Égyptiens « la petite sorcière », a occupé, au fil des décennies, une place essentielle dans la formation et l’épanouissement du talent de centaines de jeunes passionnés du ballon rond. Certains sont devenus des légendes du football égyptien, d’autres n’ont jamais eu la chance de briller sur les grands stades, mais tous ont partagé la même passion, celle d’un jeu devenu une partie intégrante de la vie quotidienne. Dès les premières années du XXᵉ siècle, la jeunesse égyptienne, qu’il s’agisse d’ouvriers ou d’étudiants, fut séduite par ce sport venu d’Europe. Mais à l’époque, rares étaient ceux qui pouvaient se procurer un ballon en cuir véritable, semblable à celui utilisé par les soldats britanniques. Ce manque de moyens fut le premier obstacle au développement du football local. L’invention du ballon artisanal Pour contourner cette difficulté, les jeunes Égyptiens décidèrent de fabriquer leur propre ballon. Ils utilisaient de vieilles chaussettes rembourrées de morceaux de tissu, de coton ou de paille de riz, qu’ils modelaient pour obtenir la forme d’un ballon en cuir. Ce bricolage ingénieux donna naissance à un jeu authentiquement populaire. De fil en aiguille, le football se répandit dans tous les quartiers, ruelles et impasses du pays. Chaque groupe d’amis fondait son équipe locale, souvent sous des noms pittoresques. Jusqu’aux années 1960, ces « ballons-chaussettes » demeurèrent la norme. Peu à peu, ils furent remplacés par des ballons fabriqués à partir de morceaux d’éponge découpés en cubes ou en rectangles. Ces morceaux étaient insérés dans un sac en plastique fin, solidement ficelé avec du fil de coton, puis recouvert de « kala », une colle blanche utilisée par les cordonniers, qui devenait transparente après séchage. Malgré leur simplicité, ces ballons improvisés furent à l’origine de milliers de matchs de rue à travers l’Égypte. Ils représentaient la liberté, la créativité et la débrouillardise d’une jeunesse amoureuse du jeu. Ce football de rue, appelé “bal à sorcière”, obéissait à ses propres règles, très différentes de celles du football officiel : •Pas de hors-jeu, ni de penalty, ni de corner ; •Les équipes se composaient de quatre ou cinq joueurs, gardien compris ; •La durée du match variait entre une demi-heure et une heure, souvent divisée en deux périodes ; •Parfois, la victoire était décidée à la première équipe atteignant quatre ou six buts. Les terrains étaient improvisés : un carré de terre d’environ 150 m², soigneusement nettoyé des pierres et débris, puis délimité à la chaux blanche, à l’image des grands stades. Les buts étaient marqués par deux pierres entre lesquelles le ballon devait passer. L’arbitre, souvent un ancien joueur ou un capitaine respecté, garantissait la bonne conduite du jeu. Une ambiance de fête populaire Lors des grands matchs de quartier, les commerçants fermaient parfois leurs boutiques pour éviter la casse des vitrines causée par un tir puissant. Les cafés populaires profitaient de l’événement : leurs propriétaires disposaient des chaises pour les spectateurs, en échange d’une boisson à deux piastres. Ces matchs étaient de véritables fêtes communautaires, où toutes les générations se retrouvaient. De nombreuses légendes du football égyptien ont fait leurs premiers pas avec « la petite sorcière ». À Shubra El-Kheima, des jeunes comme Mostafa Younis ou Mohamed Tawfik (Shabandar) s’illustrèrent avant d’intégrer les grands clubs, notamment Zamalek dans les années 1980. À El-Monira, Farouk Gaafar, légende de Zamalek et de l’équipe nationale, fonda sa propre équipe baptisée les “Frères Gaafar”, qui domina toutes les équipes locales. À Ain Shams, c’est le génie du football égyptien Mahmoud El-Khatib – aujourd’hui président du club Al-Ahly – qui vit le jour grâce à ce jeu de rue. Enfin, à Kafr El-Dawar, la “petite sorcière” révéla un autre monument du football national : Hassan Shehata, futur joueur et entraîneur emblématique de la sélection égyptienne.





