Bassam Radwan El-Chammaa, historien et conférencier international en sciences historiques, honoré par l’ONU, est également membre de l’Association égyptienne d’études historiques et géographiques, du Syndicat des écrivains et du Syndicat des guides touristiques.
Nous offrons au monde un ensemble culturel d’une rare splendeur, à un moment où les peuples et les nations souffrent des affres des conflits et des guerres.

Propos recueillis par Névine Ahmed
Le Grand Musée Egyptien est un projet dont l’idée a vu le jour dans les années 1990, sous l’impulsion de l’ancien ministre de la Culture, Farouk Hosni, comme il le raconte lui-même, le projet est né presque par hasard, et qui dit que, interrogé en Europe sur un mot ou une expression liée aux musées, il s’était senti embarrassé et avait répondu spontanément : “Ne savez-vous pas que nous construisons le plus grand musée du monde ?” A son retour, il présenta l’idée aux responsables politiques de l’époque. Lorsqu’on lui demanda d’où viendrait le financement, il répondit par sa célèbre formule : “Les grands projets trouvent toujours leur financement”, raconte le fameux historien.
“Ce que j’appelle le “chemin du défi”, le musée l’a vécu pleinement. Le chantier a affronté des obstacles extraordinaires, qui auraient semblé insurmontables pour n’importe quel Egyptien : des difficultés techniques, des retards, des périodes de frustration, mais aussi une détermination à ne jamais abandonner. Ce travail colossal est le fruit d’un effort acharné, marqué par des obstacles non seulement sur le sol égyptien, mais aussi à l’échelle mondiale. Le projet a traversé deux révolutions, entraînant des interruptions dans le chantier. Malgré tout, le musée est devenu le symbole d’une persévérance sans faille, d’un engagement à surmonter l’impossible pour offrir au monde un joyau culturel unique”, affirme le Dr Al-Chammaa.

Il poursuit en soulignant que le Japon a initialement accordé à l’Égypte un prêt souple et à long terme d’environ 400 millions de dollars, sur un coût total du musée estimé à 1,5 milliard de dollars. “Puis sont survenues la crise économique mondiale, la pandémie de Covid-19 qui a fermé le monde sur lui-même, le conflit entre la Russie et l’Ukraine, ainsi que les tragiques événements à Gaza. Malgré ces turbulences, le musée a été mené à bien, et à mon sens, c’est là l’un des plus grands exploits de ce projet”, explique-t-il. “On peut parler d’une véritable création de l’impossible, ou encore d’un lieu où l’on a su donner vie à ce qui semblait irréalisable. Le Grand Musée Egyptien incarne ainsi le courage et la persévérance d’une nation face aux défis les plus extraordinaires”.
Et le Dr Al-Chammaa de reprendre : “Je me souviens avoir été invité à assister à la pose des fondations du musée, aux côtés du département de restauration. C’est ce qui rend ce lieu si exceptionnel : le service de restauration a été créé avant même le musée lui-même, avec des sections spécialisées pour les textiles, les pierres, les métaux et l’or. J’ai eu l’occasion de collaborer scientifiquement avec eux, en fournissant quelques consultations hiéroglyphiques, bien que je ne travaille pas officiellement au musée”.

Il révèle que le musée abrite des premières mondiales, des pièces qualifiées de « premières traces de l’histoire », à l’image du seul obélisque suspendu au monde, gravée de hiéroglyphes d’une finesse exceptionnelle. On peut y lire le nom de Ramsès II à la base de l’obélisque. Une idée entièrement égyptienne, réalisée par des experts égyptiens, qui ont réussi l’exploit de suspendre un obélisque dans les airs. “Je suis également très fier que la valeur artistique et architecturale du musée soit organisée autour du thème de la pyramide. En effet, le visiteur pénètre par le hall principal à travers une pyramide, et dès l’entrée, il est accueilli sur sa droite et sa gauche par des artefacts, sculptures, inscriptions, ainsi qu’une vitrine exceptionnelle consacrée à l’ensemble du trésor de Toutânkhamon, comprenant plus de 5 000 pièces, dont certaines n’avaient jamais été exposées, pas même à moi, en tant qu’historien, chercheur et conférencier bilingue, auteur de plusieurs ouvrages. Certaines pièces de la collection de Toutânkhamon n’avaient jamais été vues publiquement depuis la découverte de la tombe du Roi d’Or en 1922. Dans la première galerie, une statue inachevée attire particulièrement l’attention : elle illustre les premières étapes de la sculpture égyptienne, montrant comment l’artiste ancien reproduisait progressivement le corps humain à l’échelle réelle. Cette statue remonte à la troisième dynastie, à l’époque du roi Djeser, et provient de Saqqarah avant d’être transférée au Grand Musée Egyptien. Elle constitue aujourd’hui un véritable sujet d’étude scientifique”, indique-t-il.
Il explique que le musée expose également des papyrus, des animaux momifiés, dont un énorme crocodile, et bien sûr la statue de Ramsès II, symbole suprême de l’ingéniosité égyptienne. Tant par son aspect monumental que par les techniques de transport et d’installation, cette statue est une prouesse à la fois symbolique et scientifique, reflétant la grandeur des anciens pharaons. Il souligne : “Parmi les scènes les plus impressionnantes, il y a l’escalier monumental qui conduit le visiteur à une façade vitrée immense, offrant une vue spectaculaire sur les trois Pyramides, situées à environ 2 km du musée. Un chemin piéton spécial relie le musée aux Pyramides, permettant ainsi aux visiteurs de s’imprégner progressivement de la grandeur du site et de ressentir l’intensité historique et culturelle de l’Egypte ancienne.”

Le Dr Al-Chammaa révèle que le musée présente une vitrine exceptionnelle contenant des artefacts datant de plus de 700 mille ans. Avec cette collection, le GME dépasse l’idée reçue que “nous sommes une civilisation de 7000 ans : il démontre que nous sommes une civilisation de 700 mille ans, avec des pièces découvertes dans le quartier d’Abbassiya au Caire et dans d’autres régions. Cette vitrine figure parmi les plus importantes du musée. Les visiteurs pourront découvrir le mobilier et les métiers de l’Égypte ancienne, ainsi que les accessoires féminins. On y trouve également des statues de scribes égyptiens, dont le célèbre scribe Metri, réalisé il y a plusieurs millénaires. Ce qui frappe, ce sont ses yeux en quartz et obsidienne, qui semblent presque vivants et expressifs. Fait remarquable, l’artiste a ajouté des veines rouges dans les yeux, comme pour montrer que ce scribe était âgé, expérimenté, dévoué à son art et fidèle au roi.
“Il y a tant de merveilles à découvrir qu’il serait impossible de tout expliquer en une seule conférence. Mon conseil aux Egyptiens et aux visiteurs est de consacrer une journée entière à ce musée majestueux, et non une simple visite de deux heures. Le GME est cinq fois plus grand que le British Museum et deux fois la taille du Louvre, offrant ainsi un espace immense pour explorer l’histoire, l’art et le génie des anciens Egyptiens”, souligne le Dr Chammaa.
Et l’historien de renchérir : “Dans la cour du bâtiment, les visiteurs pourront admirer des plants de papyrus ainsi que du lotus, deux des plantes les plus emblématiques utilisées par les anciens Égyptiens. A mon avis, le Grand Musée Egyptien ne se contentera pas de changer la perception du monde sur la civilisation égyptienne : il viendra confirmer légitimement notre statut de première grande civilisation de l’histoire ancienne.
En conclusion, le Dr Al-Chammaa : “Je terminerai en expliquant ce qu’est un musée réussi : c’est celui qui ajoute de nouveaux chapitres à l’histoire d’une nation- et c’est exactement ce que fera le Grand Musée Egyptien. Il a également pour rôle de supprimer les chapitres falsifiés, écrits par ceux qui ont déformé l’histoire pour servir leurs intérêts ou une idéologie particulière. Ce musée est donc une manière de rétablir la vérité et de faire taire les distorsions historiques, en offrant au monde une image authentique de la grandeur égyptienne. Et si vous me demandez mon avis, je proposerais aux responsables d’installer une inscription à l’entrée du musée portant la mention : “La fabrication de l’impossible”. Cette phrase résumerait parfaitement l’ambition, le génie et les défis surmontés pour donner vie au Grand Musée Egyptien, un lieu où l’histoire, l’art et l’ingéniosité humaine se rencontrent.





