- Une stèle inachevée, des fleurs d’été et une vérité oubliée
La mort de Toutânkhamon demeure l’un des grands mystères de l’Egypte ancienne. Si l’Histoire retient qu’il aurait régné près de dix ans avant de s’éteindre à l’âge de 19 ans, de nouveaux indices viennent aujourd’hui bousculer cette certitude. Une stèle en granit rose d’une rareté exceptionnelle, conservée au Louvre Abu Dhabi, livre une datation précise et troublante. Inachevée, elle semble figer le temps à un moment clé du règne du jeune pharaon. Croisée avec l’analyse botanique des couronnes florales retrouvées dans sa tombe, cette source monumentale offre un éclairage inédit sur les derniers mois de sa vie. Texte hiéroglyphique, calendrier antique et science moderne convergent ici vers une même hypothèse. Et si Toutânkhamon était mort plus tôt qu’on ne l’a toujours affirmé ? Cette enquête pluridisciplinaire rouvre un dossier que l’on croyait clos.
Présenté par Névine Ahmed
- Une enquête documentaire et botanique inédite
Recherche, compilation, étude et nouvelle analyse, à partir d’une rare stèle en granit et des couronnes florales funéraires
Par Dr Bassam Al-Chammaa

La question de la mort du roi Toutânkhamon continue de diviser les historiens. Généralement, les égyptologues estiment qu’il a régné environ dix ans et qu’il est décédé très jeune, vers l’âge de 19 ans. Pourtant, une relecture attentive d’une stèle exceptionnelle pourrait remettre en cause cette chronologie admise.
Une stèle en granit d’Abydos au cœur de l’enquête
La pièce étudiée est une stèle en granit rose, rare et remarquable, provenant du site archéologique d’Abydos, près d’Al-Balina, dans le gouvernorat de Sohag. Elle consigne, par une inscription hiéroglyphique claire, un décret royal officiel. Le texte s’ouvre sur une datation précise, aisément traduisible, accompagnée du cartouche royal de Toutânkhamon. On y lit son nom de couronnement, Nebkhéperourê (Celui qui possède la manifestation de Rê), ainsi que son nom de naissance : Toutânkhamon Heka Iounou Shema (L’image vivante d’Amon, souverain d’Iounou du Sud, c’est-à-dire Thèbes/Louxor). Figurent également ses titres royaux, dont Neb Taouy (Seigneur des Deux Terres, Haute et Basse-Egypte). Le texte confirme aussi la protection accordée à un grand prêtre du temple d’Osiris. Dans la partie supérieure de la stèle, le roi apparaît aux côtés d’un haut dignitaire nommé Pa-en-Nesit.
Description et datation
La stèle est rectangulaire, dressée verticalement, surmontée d’un sommet arrondi en forme de demi-dôme. Elle mesure 166 cm de hauteur, 82 cm de largeur et 26 cm d’épaisseur. Elle est datée de 1327 av. J.-C., durant le règne du “ roi-enfant d’or”, Toutânkhamon. Aujourd’hui, elle est conservée au Louvre Abu Dhabi, sous le numéro d’inventaire L AD 2016.017, indiquant clairement son transfert en 2016 depuis le Louvre de Paris.

Pourquoi cette stèle est-elle capitale ?
Selon Dr Bassam Al-Chammaa, cette stèle pourrait être l’une des toutes dernières œuvres monumentales portant explicitement le nom et l’image de Toutânkhamon. Plusieurs indices suggèrent qu’elle aurait été achevée quelques mois seulement avant sa mort, voire laissée inachevée à la suite de son décès. Un fait intrigue particulièrement les chercheurs : la présence d’un large espace vierge dans la partie inférieure de la stèle, un phénomène inhabituel dans l’art monumental égyptien. Cette lacune pourrait indiquer un arrêt brutal du travail, possiblement causé par la mort soudaine du souverain. Le chercheur français Gabolde a d’ailleurs avancé l’hypothèse que la stèle aurait été gravée quatre à six mois avant le décès du roi.

Une datation décisive
Le texte hiéroglyphique précise : “Année 9, deuxième mois de la saison Akhet (la crue), jour 12” La saison Akhet, qui marque la crue du Nil et le début de l’année chez les anciens Égyptiens, commence le 19 juillet selon le calendrier grégorien actuel. Après des calculs complexes, Gabolde a établi que cette date correspondrait au : 27 août 1318 av. J.-C. (calendrier julien) et au 15 août 1318 av. J.-C. (calendrier grégorien).
Un contexte historique troublé
La fin du règne de Toutânkhamon demeure obscure. Il succède à son père, Akhenaton, après dix-sept années de bouleversements religieux marqués par l’abandon du dieu Amon au profit d’Aton et le transfert de la capitale à Tell El-Amarna. Le jeune roi rétablit le culte d’Amon, mais gouverne dans un climat d’instabilité politique et religieuse.
Le témoignage silencieux des fleurs funéraires
L’analyse ne s’arrête pas à l’épigraphie. Elle s’étend aux couronnes florales funéraires découvertes en 1907 dans la cachette KV54 de la Vallée des Rois par Davis et Ayrton. Les plantes composant ces couronnes ont été étudiées par la Dre Hiba Badir, spécialiste en botanique (Faculté des sciences, université de Tanta). Son analyse révèle que toutes les espèces identifiées — lotus bleu, morelle (nightshade berry), pavot, bleuet, olivier et persea — fleurissent ou fructifient en été, principalement entre juillet et septembre. Cette concordance botanique indique clairement que Toutânkhamon est mort durant la saison estivale.

Une conclusion lourde de conséquences
La convergence des données- stèle inachevée, datation précise, analyse botanique- conduit à une hypothèse forte : Toutânkhamon serait mort au cours de la neuvième année de son règne, probablement en septembre 1318 av. J.-C., et non après dix ans de pouvoir comme on l’a longtemps affirmé. Si le vide au bas de la stèle avait été intentionnel, les artisans l’auraient simplement taillée. Le fait qu’il soit resté intact suggère plutôt une interruption soudaine, celle de la mort du roi. Conclusion : Toutânkhamon n’aurait régné que neuf ans. Une année de moins, mais une énigme de plus dans l’histoire fascinante du pharaon le plus célèbre d’Egypte.





