Des millions de jeunes filles n’ont jamais connu le premier Émirat islamique d’Afghanistan, entre 1996 et 2001. Les vingt ans de conflit et d’occupation occidentale du pays ont par ailleurs favorisé leur accès à l’éducation. Mais le retour des talibans au pouvoir, le 15 août dernier, a marqué la fin de l’innocence pour cette nouvelle génération de femmes rompues à l’égalité des droits pour la plupart… Dans les ténèbres de la nuit afghane, la famille Sadat dîne modestement. Les assiettes de légumes épicés et le pain sont accompagnés d’un soda américain. La lueur de la lanterne à gaz souligne les traits brisés de Khalida. La jeune femme peine à manger. La douleur la saisit. Elle place rapidement sa main sous son nez cassé pour vérifier qu’il ne saigne pas : fausse alerte. « C’est douloureux, explique-t-elle. J’ai du mal à manger et dormir. Dès qu’il y a du vent ou qu’il fait froid, c’est pire ». Il y a bientôt un mois, Khalida, 21 ans, et ses deux sœurs, ont participé à une manifestation de femmes pour le respect de leurs droits et l’intégration de femmes dans le gouvernement « inclusif » promis par les talibans, près du palais présidentiel de Kaboul. Un affront qui a suscité la colère d’un des hommes de l’Émirat. Furieux, le taliban en kurta, un vêtement traditionnel, a frappé la jeune femme au visage. Khalida avait à peine un an lorsque la guerre contre les talibans, déclarée par l’administration Bush, s’est abattue le 7 octobre 2001 sur l’Afghanistan. Elle ne se souvient pas du premier Émirat islamique, au pouvoir depuis 1996. « J’étais trop jeune » explique-t-elle, avant de poursuivre : « Mais ma mère nous racontait souvent comment hommes et femmes étaient fouettés. Lors de la manifestation, quand ils m’ont battue, j’ai ressenti cette brutalité dont nous parlait ma mère. Ils n’ont pas changé et ne changeront pas ». MANQUE À GAGNER Depuis la prise du pouvoir par le mouvement islamique le 15 août dernier, la jeune femme, qui est veuve, a arrêté de travailler et d’étudier, tout comme ses sœurs. Les nouvelles règles affectent non seulement l’avenir de ces jeunes femmes qui auraient pu s’émanciper par le travail, mais touchent aussi leur présent immédiat. Désormais, la maisonnée dépend totalement des salaires dérisoires gagnés par les trois frères de cette famille de la classe moyenne. Beaucoup d’Afghans subissent une diminution considérable de leurs ressources depuis la crise économique provoquée par la chute de la République islamique. Et pour ceux dont tout ou une partie des revenus dépendait des femmes, notamment les familles de veuves, tout une économie familiale s’écroule. Khalida se désole : « Ils disent que nous ne sommes pas autorisées à aller au bureau. Nous rapportions de l’argent à la maison mais aujourd’hui, nous avons perdu nos emplois. Que va-t-il advenir si nous ne pouvons plus acheter de quoi manger ? Dans la société des talibans, la femme n’a aucun rôle, excepté celui d’être l’esclave des hommes : rester à la maison, nettoyer et faire à manger. » « GUERRE, GUERRE, GUERRE… » Une vision pessimiste discrètement partagée par Nilam, 18 ans, rencontrée quelques jours auparavant entre les murs blafards d’un centre commercial de la capitale.