Octobre à Paris était la saison de l’art contemporain. Une tradition. Les galeries du monde entier sont débarquées avec leurs stocks d’œuvres plus ou moins novatrices, mais toutes à vendre.
Cet été, le Grand Palais restauré avait été pendant les Jeux olympiques l’un des sites les plus admirés et remarqués. La foire d’art contemporain Art Basel Paris, ex-Fiac, s’y est installée du 18 au 20 octobre. C’était un retour en plein centre de Paris. Au total, 135 000 m2 pour 195 galeries, dont 53 nouvelles qui exposaient et vendaient ce que le marché de l’art estimait le plus important de la scène artistique, d’après
Les organisateurs aimaient à dire qu'”Art Basel Paris était la plus importante foire d’art contemporain et moderne au monde”. Un slogan marketing ou une réalité dans un marché de l’art qui oscillait entre inquiétude et frilosité ? C’était à voir durant les quatre jours de cette foire et aussi dans neuf lieux parisiens.
Un marché inquiet
Art Basel est avant tout un marché, une foire. Sous l’immense verrière du Grand Palais restauré, les galeristes, le jour des collectionneurs, mercredi 16 octobre, s’affairent à ne pas rater une vente, même si souvent les œuvres les plus chères ont été discutées les jours précédents. “Le marché est compliqué”, avouent les galeristes avec ce sens de la formule. Et si Frieze, l’homologue britannique d’Art Basel, a donné des signes encourageants, l’inquiétude est de mise.
Judith Benhamou, spécialiste de l’économie de l’art contemporain et journaliste aux Échos confie que “le marché est évidemment ralenti. Les prix n’ont pas encore vraiment baissé parce que ceux qui vendent n’ont pas envie que ça baisse. Mais il y a moins de demande, c’est clair. Et il y a un début de révision du marché et de la demande.”
D’après https://www.francetvinfo.fr, une révision qui entraîne un repli sur des valeurs sûres, des artistes ayant prouvé leur talent, des artistes confirmés, dont la carrière ne risque pas d’être un feu de paille.
Cela se confirme chez Ceysson et Bénétière, galeriste historique de Pierre Buraglio, Bernard Pagès, Bernar Venet. Sur leur stand, des Claude Viallat aux prix de 110 000 à 130 000 euros. “Nous allons dire que le marché a toujours été raisonnable avec nos artistes”, estime Loïc Garrier, responsable de la galerie parisienne. “Aujourd’hui, on arrive à des prix qui commencent à devenir conséquents mais qui sont justes.”
Et de renchérir : “On n’est pas sur des artistes qui ont 40 ans et dont la cote a explosé. Ce marché-là est plus compliqué aujourd’hui. C’est justement ce marché qui a explosé et qui s’est dérégulé.” La sagesse pourrait être le mot d’ordre de l’année. Pour saluer la persévérance des artistes.
Judith Benhamou le confirme : “On accordait trop de valeur à des artistes qui étaient en devenir, donc qui n’avaient pas fait toutes leurs preuves. Donc il y avait une sorte d’injustice. Mais l’injustice n’est pas encore réparée. On est au début du processus. Il y a eu déjà beaucoup de fermetures de galeries à New York. À Paris aussi. Il y a une inquiétude générale mais, paradoxalement, du fait de la multiplication des projets en ce moment à Paris, il règne une sorte de d’euphorie qui contraste avec l’ambiance mondiale.”

La stratégie du galeriste
“Paris, centre du monde de l’art durant Art Basel” est un slogan souvent entendu. Pour être le centre du monde, la foire accompagne l’actualité culturelle parisienne. En écho à l’exposition Arte povera à la Bourse de commerce, Alighiero Boetti, représentant de l’Arte povera aux immenses cartes du monde multicolores est montré chez Tornabuoni Art, galerie italienne. La galerie Loevenbruck présente par exemple une sculpture de Hans Belmer en parallèle à la saison surréaliste parisienne.
Mais Hervé Loevenbruck joue aussi d’une autre manière jeu de l’actualité. Sur son stand, une œuvre attire l’œil. Une peinture du français Gilles Aillaud, qui après sa belle rétrospective Gilles Aillaud, animal politique
au Centre Pompidou en 2024 a repris “du poil de la bête” dans l’esprit des collectionneurs.
Le galeriste nous déclare : “On n’est pas dans une foire marchande au sens strict avec des œuvres à vendre. Ce sont des œuvres qui ont été pensées, qui ont été réfléchies et on va chercher à trouver leur prochaine famille d’accueil. Chaque œuvre a sa place sur le stand.” La preuve avec Le Marabout derrière la grille qui semble avoir été peint sur place.
Hervé Loevenbruck rajoute : “On a pris une œuvre qui, au-delà du fait qu’elle arrive un an après la rétrospective d’Aillaud, dialogue avec la structure du Grand Palais que l’on retrouve ici avec son architecture métallique dans l’œuvre sans doute peinte au Jardin des plantes à la fin des années 1960.”
Les espoirs des émergents
Quand on parle prudemment d’argent chez les galeristes ayant pignon sur rue, il suffit de monter le grand escalier du Palais et sur les coursives, à l’étage les galeries émergentes. Elles observent les mastodontes du marché et ne pratiquent pas la langue de bois. Et proposent des œuvres plus décoiffantes, d’après Le discours d’Elisa Rigoulet, directrice de la jeune galerie Exo Exo, dix ans d’âge, est plus direct. “Je pense que de manière globale, en ce moment, les collectionneurs et les collectionneuses sont frileux d’acheter. Nous, on pratique des prix qui sont ceux des artistes émergents, c’est-à-dire pas très chers.” Entre 3 000 et 30 000 euros pour la grande installation vidéo.
Elle présente Lou Fauroux, une artiste trentenaire mêlant vidéo et bas relief en résine narrant un combat contre la toute-puissance des Gafam, des IA, sous fond de culture pop et de monde post-internet.
La foire est un sacré investissement pour une jeune galerie : “Le stand, il nous coûte 12 000 euros. Pour une galerie comme la nôtre, c’est un gros investissement, plus la production des œuvres de l’artiste sur le stand. Comme nous montrons des artistes émergents, nous prenons des risques.” Les acheteurs aussi, mais peut-être l’avenir de l’histoire de l’Art leur donnera raison.

Le retour de l’art moderne
Comme pour prouver que collectionner est une aventure et un pari, à quelques pas de là, nous sommes chez Dina Vierny, galerie historique. Une leçon du passé que cet hommage à un grand collectionneur, marchand et critique d’art, Wilhelm Uhde (1874-1947). Il fut le premier acheteur de Picasso, il a découvert le Douanier-Rousseau. Il a aidé Séraphine Senlis. C’est un clin d’œil aux acheteurs d’aujourd’hui. Marie Lesbats, directrice adjointe de la galerie, dit à Franceinfo Culture : “C’est une manière de mettre la lumière sur un collectionneur, de rappeler l’importance de collectionner, d’acheter les premiers exemplaires, les premières œuvres d’un artiste qui n’est pas encore connu. Un acheteur peut être un visionnaire.”
Wilhelm Uhde a acheté des Picasso, des Douanier Rousseau, des Seraphine Senlis pour à l’époque soutenir ces artistes. Aujourd’hui, la galerie vend entre 1 million et 1 million et demi d’euros ces tableaux. “L’art moderne est une valeur sûre, une valeur refuge pour les collectionneurs. Les acheteurs américains reviennent, et Art Basel prouve que Paris est un rendez-vous important”, nous rappelle Marie Lesbats.