Devant de grands métiers à tisser en bois disposés dans des cabanes en briques d’argile couvertes de coupoles, des artisans habiles -hommes et femmes- aux doigts en or vaquent à leur activité : la fabrication de tapis. Ces pièces textiles sentent l’authenticité, l’originalité et le doigté. Des fils de différentes couleurs se croisent habilement, inspirés par la nature, pour tisser des tapis luxueux à la main. Bienvenue, vous êtes dans le village de Haraneya, sanctuaire des tisserands.

Par : Hanaa Khachaba
Près des pyramides de Guizeh, le Centre Ramses Wissa Wassef des arts a été fondé au début des années 1950 par le feu architecte Ramses Wissa Wassef en tant qu’école de tissage. Depuis lors, il a évolué en un centre artistique comprenant des ateliers, des salles d’exposition, un musée de la poterie et de la sculpture, ainsi que des maisons et des bâtiments agricoles entièrement construits en briques d’argile. Wassef a choisi le village de Haraneya pour sa tranquillité et sa nature intacte.
Les habitants du village d’Haraneya, hommes, femmes et enfants, passent leurs journées à choyer les cordes et les fils des tapis avec leur profond sentiment de la nature, libérant leur imagination et leurs créations pour tisser des tableaux et des œuvres d’art avec des fils de coton et de laine, incarnant la nature dans leurs chefs-d’œuvre. « Chaque enfant naît avec une capacité créative… et il nous faut ne pas intervenir pour qu’il exprime ses créations artistiques avec sa nature innée et sa pureté. » C’est la vision dans laquelle croyait l’architecte défunt Ramses Wissa Wassef, et elle a permis aux créations des habitants du village de Haraneya d’acquérir une renommée internationale pendant plus de 70 ans.

Dans les années 1950, il a décidé de faire de chaque maison à Haraneya un centre artistique, faisant de la nature et de la verdure une source d’inspiration illimitée, pour raviver les métiers artisanaux menacés d’extinction. Il leur a enseigné le tissage de la laine et du coton, l’art de la poterie, et la peinture sur verre, et leur a inculqué la confiance en eux-mêmes la capacité à créer et à exprimer leur personnalité dans leurs œuvres artistiques.
Wassef veillait à ce que le travail soit rémunéré pour contribuer à les soutenir et à fournir une vie décente à leurs familles, permettant ainsi à leurs idées de mûrir en œuvres artistiques qui expriment leur culture et leur simplicité avec un style expressif distinct, sans autre limite que l’infini du ciel.

Alors qu’il était absorbé par ses fils multicolores, laissant son imagination vagabonder avec l’odeur des roses, le chant des oiseaux et la couleur bleue du Nil, il tissait avec habileté et précision les fils de laine sur un métier à tisser vertical. Il complétait ainsi son tableau artistique qui ne manquait jamais d’éléments de la nature. Ali Salim, ce vieillard âgé de 73 ans, s’épanche au journal « Al-Youm Al-Sabea », sur son parcours avec l’art du tissage qui a commencé dès son plus jeune âge. Sa grande sœur lui a appris cet art, et ensemble, ils ont été formés par Ramses Wissa Wassef jusqu’à devenir des artisans accomplis. Il explique : « C’est mon métier depuis ma douce enfance. J’ai commencé à apprendre l’art de la fabrication de tapis à la main dès l’âge de huit ans. Ma sœur, Atiyat, venait travailler au centre et je venais avec elle pour jouer. Je m’asseyais à côté d’elle, je la regardais travailler avec ses collègues qui tissaient les fils de laine avec habileté. Bien que je n’aie pas maîtrisépas les bases du métier, j’ai cherché à les imiter. J’ai rassemblé des morceaux de laine supplémentaires, je les ai noués ensemble, j’ai fabriqué un petit métier à tisser en bois, j’ai commencé à tisser des lignes de laine dessus, espérant réussir mes premiers pas. Ramses WissaWassef m’a alors vu et m’a dit qu’il n’y avait pas de place pour moi. Je suis retourné chez moi avec les fils de laine et le métier que j’avais fabriqué, et j’ai continué ce que j’avais commencé sur la toile jusqu’à la terminer complètement. Ensuite, je suis retourné au centre et lorsque l’artiste Ramses WissaWassef m’a vu, il a ouvert sa porte et m’a donné un métier à tisser en bois bien fait et des fils de laine. J’ai commencé à tisser, puisant dans mon imagination, des dessins et des formes d’oiseaux et d’arbres, et à chaque morceau de tapis que je tissais, il me récompensait financièrement pour m’encourager à continuer et à recommencer. C’est ainsi que mon aventure avec l’art de la fabrication de tapis à la main a commencé », ajoutant : « Ramses Wissa Wassef est celui qui m’apratiquement élevé ».

Ali Salim a poursuivi : « Ce que nous faisons en termes de fabrication est un travail artistique qui n’est pas lié à un temps ou un lieu spécifique, il repose sur une idée et un objectif, tous deux relevant de la nature. Dès que nous décidons d’une image spécifique inspirée par la nature, nous commençons à la tisser directement sur le métier jusqu’à ce que l’image soit complète. » Il a expliqué que lorsqu’ils décident de réaliser une œuvre d’art spécifique, ils commencent immédiatement à tisser les fils sur le métier sans avoir de maquette, de photo ou de dessin sur papier. Salim a raconté comment, lorsqu’il accompagnait Soheir Habib Georgy, la femme de l’artiste Ramses Wissa Wassef, pendant qu’elle réalisait l’une de ses œuvres d’art qui a pris trois ans à compléter, ils ont parcouru le Nil pendant 14 jours, de Guizeh jusqu’à Louxor et Assouan. Pendant ce temps, il a tissé ses fils en trois parties sur une longueur de sept mètres, représentant successivement des palmiers, le Nil, des barques et des pêcheurs, puis les temples de Philae et de Karnak, des mosquées, des églises, la citadelle et les pyramides. Le septuagénaire a ajouté : « Nos œuvres d’art sont basées sur la nature, même dans les matériaux utilisés pour les fabriquer. Les outils utilisés dans la fabrication des tapis à la main comprennent des métiers à tisser en bois, qu’ils soient verticaux ou horizontaux, ainsi que du coton, de la laine et des colorants naturels extraits des plantes. » Il a expliqué que les colorants utilisés dans la fabrication sont extraits de plantes cultivées dans le village, les laines leur parviennent blanches, et une fois par an, ils se réunissent pour séparer les parties des plantes cultivées, telles que les tiges, les feuilles, les fleurs, dont chacune fournit une couleur spécifique utilisée pour teindre les laines. Il a souligné qu’ils produisent des tapis de différentes tailles et formes, et que le tissage d’un mètre carré de fil peut prendre un mois entier.



Retournons au rêve de l’ingénieur-artiste. Après avoir exploré plusieurs villages, Wassef a choisi Haraneya. Il a commencé à réaliser son rêve en enseignant à environ 14 filles et garçons du village, âgés de 8 à 15 ans, l’art du tissage sur métier à tisser. Grâce à son sens artistique, Wassefa su exploiter la créativité des enfants du village en lançant une expérience pionnière pour préserver et développer cet artisanat traditionnel, conscient des effets dévastateurs de la mécanisation sur les métiers à tisser traditionnels. Après avoir constaté leur assimilation de ses enseignements, il les a encouragés à exprimer leur créativité en leur disant : « Je veux voir ce que vous pouvez créer. Si vous aimez ça, cela pourrait être votre avenir. J’espère que vous deviendrez des artistes », sachant qu’ils n’avaient pas d’autre moyen d’expression que le tissage. Le Centre a participé à sa première exposition à l’étranger en 1958 en Suisse, ce qui a conduit leurs œuvres à devenir des invités réguliers et remarqués dans les expositions internationales.

Le directeur du Centre Ramses Wissa Wassef, l’artiste Ikram Nosshi, a déclaré au quotidien égyptien Al-Masry Al-Youm : « Les tissus et tapis faits à la main du Centre se distinguent par leurs couleurs vives obtenues à partir de plantes rares cultivées spécialement à l’intérieur du Centre. Les tapis tissés reflètent les paysages naturels de la campagne égyptienne avec des étendues vertes, des canaux d’irrigation, des oiseaux et du bétail, exprimant l’authenticité du patrimoine égyptien ». Et d’ajouter que lorsque l’artiste Ramses Wissa est décédé en 1974, le nombre de tisserands au Centre était de 14 personnes de la première génération. Nous les avons gardés et travaillé à augmenter leur nombre, atteignant avant la révolution du 25 janvier jusqu’à 50 artistes. Cependant, nous avons rencontré des crises par la suite et nous avons actuellement 35 artistes de la deuxième génération travaillant dans toutes sortes de textiles en coton et en laine.