Clin d’œil
Par : Samir Abdel Ghany
Invitée par l’artiste Adham Chaker, j’ai assisté à l’exposition de l’artiste roumaine à la salle Salah Taher de l’Opéra du Caire. Une fois franchi le seuil de la galerie, le tumulte du dehors — le bruit des voitures, les cris des vendeurs ambulants, la foule désordonnée — s’est dissipé pour laisser place à un univers totalement différent. L’atmosphère qui régnait dans la salle, où l’on attendait l’ouverture officielle en présence de l’ambassadrice de Roumanie, donnait déjà le ton d’un événement qui dépassait les conventions habituelles.

Dès mon entrée, une impression presque céleste m’a envahie.
La présence de Carmen Pitraro, lumineuse, confiante, intensément rayonnante, semblait imprégner l’espace. Cette aura suffisait à comprendre que l’exposition ne relevait pas du simple divertissement culturel : elle portait en elle la force d’une expérience esthétique nécessaire, comme une invitation à partager la beauté plutôt qu’à la contempler passivement.
Le titre de l’exposition, « Symphonie des Fleurs », prend tout son sens dès les premières toiles. L’artiste parvient à créer une harmonie visuelle qui ravive les sensations premières de la nature. Plus que des compositions florales, ses œuvres convoquent une présence organique où chaque pétale semble respirer, chaque couleur vibrer. Les fleurs y deviennent des entités vivantes, transportées de la matérialité vers un registre spirituel.

L’univers de Carmen Pitraro est un espace singulier, situé au croisement de deux cultures. Artiste d’origine roumaine installée en Égypte, elle parvient à fusionner ces deux héritages dans une proposition plastique qui lui est propre. Son œuvre traduit l’influence européenne à travers l’audace de la composition, la liberté du trait, l’abstraction maîtrisée ; et l’empreinte égyptienne à travers la chaleur des teintes, la puissance de la lumière, cette intensité picturale qui rappelle le soleil du Caire.
Dans ses toiles, les couleurs semblent jouées plutôt qu’appliquées. Les transitions entre l’orange et le violet, entre le bleu et le jaune, composent une véritable partition visuelle évoquant symboliquement la rencontre du Danube et du Nil. La musique silencieuse qui en émane confère aux œuvres un caractère méditatif rare.


Le critique d’art Tarek Abdel Aziz résume ainsi l’évolution que révèle cette exposition :
« Carmen Pitraro présente de nouvelles facettes de sa maturité artistique, ouvrant un univers vibrant où la musique des couleurs s’allie à une profondeur contemplative. Elle ne peint pas ce qu’elle voit, mais ce qu’elle ressent au contact de la lumière et de l’éveil des fleurs. Chaque couleur devient une pulsation du vivant, chaque œuvre une tentative de retenir le temps avant qu’il ne s’efface. Elle prouve que l’abstraction peut refléter à la fois l’âme et la nature, et que la fleur, dans sa simplicité, peut s’élever au rang de symbole du renouveau et de l’éternité. »

Dans les œuvres de Pitraro, les fleurs ne se limitent donc pas à leur essence botanique. Elles se transforment en symboles chargés d’émotion : cœurs ouverts, fragments de pensées, messages d’amour nus. Chaque tableau explore une sensation différente – sérénité, chaos, nostalgie, paix intérieure – et invite le visiteur à retrouver une part de lui-même à travers la couleur.
L’artiste ne peint pas la fleur ; elle en peint l’âme.
Même dans les compositions les plus abstraites, un fil émotionnel relie le spectateur à une expérience intime et reconnaissable.
Forte de deux héritages – roumain et égyptien – Carmen Pitraro construit une œuvre qui transcende les frontières culturelles. Son identité artistique, nourrie par deux histoires et deux traditions visuelles, se cristallise en une expérience profondément humaine.

À une époque où l’image est omniprésente mais souvent dépourvue de sens, les toiles de Pitraro ouvrent une respiration, une fenêtre vers un monde plus sensible et plus authentique.
Avec cette exposition, l’artiste ne se contente pas d’affirmer sa place en Égypte : elle s’inscrit durablement dans la scène plastique contemporaine du pays, participant à enrichir la mémoire visuelle d’une lumière qui n’appartient qu’à elle.





