Le patrimoine culturel égyptien est très riche et enrichissant. Il a ses symboles qui marquent l’esprit égyptien contemporain. Parmi les symboles les plus importants du patrimoine figure Al-Aragoz qui est un guignol authentique et différent de toutes les marionnettes du monde. Evidemment, l’artiste Choukoukou lui a donné une seconde vie et une couleur populaire indéniable à Al-Arazgoz surtout sur les scènes de théâtres et les écrans télévisés.
Dans les villages et les zones rurales, Al-Aragoz était omniprésent. Durant les mouleds (anniversaire marquant la naissance du Prophète) et les fêtes populaires, son spectacle attire l’attention des foules et des enfants. Les bambins y voient un moment de joie et d’escapades. Mais, la dite guignol a toujours été utilisée pour dénoncer toute forme d’injustice d’une manière comique et sans trop d’amertume. En cela, les Egyptiens sont rois, un peuple qui adore rire de sa misère et transformer tout moment dramatique en une source de joie. Bref, Al-Aragoz contribue à l’art ancestral de transformer le drame en farce. Récemment, le ministère de la Culture a décidé de donner vie à Al-Aragoz en préparant des artistes à cet art. Un travail difficile mais intéressant pour perpétuer des traditions entièrement égyptiennes.
Avec la tête en bois, de grands yeux noirs rehaussés de khôl, une moustache peinte sur le visage, des vêtements rouges, Al-Aragoz est un extraordinaire mélange des cultures islamique, européenne et égyptienne antiques, rapporte le site www.epa.unima.org/en/aragoz/.
Selon certains, il aurait été introduit en Égypte entre le XVe et le XVIIe siècle par des voyageurs.
D’autres pensent qu’il a commencé en Égypte, que ses traditions sont centenaires et que son existence est intimement liée aux fêtes antiques.
Le personnage d’Al-Aragoz est vif, moqueur et entêté. C’est un héros satirique populaire qui utilise l’idiotie comme arme ; il fait l’idiot pour cacher son jeu et détruire le puissant, le tyran ou l’étranger indésirable. Al-Aragoz réussit là où le commun des mortels ne réussit pas, et le spectateur peut s’identifier à lui dans des décors imaginaires. Le bâton joue un rôle essentiel; il représente la justice que l’homme ordinaire voudrait appliquer aux puissants.
Le manipulateur d’Al-Aragoz doit faire preuve de grandes prouesses vocales puisqu’il joue plusieurs rôles en même temps. Il doit avoir une « voix » à la mesure du rôle important des chants (tarab). Aragoz utilise le langage de la rue saupoudré d’injures et de vulgarités qui sont des éléments comiques essentiels.
La langue elle-même devient parfois satirique avec la caricature des provinciaux. Les gestes sont faits de coups et de surprises. Al-Aragoz frappe, ou joue à cache-cache, et répète ces gestes.
Dans la plupart des cas, la marionnette est accompagnée d’un assistant-acteur qui joue le rôle de médiateur entre le spectacle et le public. Il est souvent équipé d’un instrument rythmique qu’il utilise pour rythmer la performance et augmenter l’enthousiasme du public.
Le spectacle se compose de quatre scènes précédées et suivies de la chanson d’Al-Aragoz et de son assistant. La première scène montre l’arrivée du personnage indésirable qui sera chassé à la fin. Ce personnage importun varie d’un spectacle à l’autre : Al-Aragoz et le voleur, Al-Aragoz et le commerçant, ou encore Al-Aragoz et sa femme…
Avec Choukoukou, cet art s’est développé et a pris des allures modernes : il a su lui donner un élan en le transposant des villages vers la scène de théâtre. Ainsi, les gens aisées ont pu partager les plaisirs de cet art comme les moins nantis. Autour de ce lien entre Choukoukou et la marionnette égyptienne, Dr Amani Al-Guéndi a publié un ouvrage intitulé « Les arts du spectacle et de l’enfant ». Il y reprend comment l’artiste a su manipuler Al-Aragoz. Lors de sa pièce de théâtre «Choukoukou sur la planète de la pastèque», l’acteur s’en servi pour faire le tour de l’Egypte et véhiculer aux gens les plus simples comme les aisés les principes de la révolution de 1952.
Petit à petit, il s’est inspiré du look d’Al-Aragouz : ainsi, a-t-il ajouté du kôhl aux yeux, tracé sa moustache comme celle de la marionnette, portait un bonnet sur les cheveux et tenu un bâton en main. Il porte la djelleba comme celle du personnage qu’il a incarné et Al-Aragoz l’accompagne. Mais là, la marionnette cesse de devenir le personnage principal.
Elle est juste l’accompagnateur l’ombre et non la source de lumière. Choukoukou devient dès lors une incarnation quasi-réelle d’Al-Aragoz égyptien, voire même son sosie vivant. Et, il n’est surtout pas manipulé : c’est un être en chair et en os qui vient d’un quartier populaire et authentique au Caire et qui représente une belle histoire d’ascension sociale. Bref, l’idéal égyptien de l’époque postrévolutionnaire. Cela lui a valu d’être transformé en une sculpture de Choukoukou déguisé en Aragoz qui a été vendue comme des petits pains et qui était très appréciée par la grande majorité des Egyptiens.
D’ailleurs, certains sont allés jusqu’à le baptiser le « Charlot » du cinéma égyptien, y voyant en lui une figure singulière comme Charlie Chaplin.
A noter que l’artiste est né dans le quartier populaire de Gamaleya au Caire et, au début de sa vie artistique, il a reçu une punition dissuasive de la part de son père, car il travaillait toute la journée dans un atelier de menuiserie et le soir, il chantait dans des mariages et des cabarets. Au début, il imitait les artistes et reprenait les chansons de Mohamed Abd Al-Wahab et Mohamed Abd Al-Mottalib, la réaction du public étant fade, il réalisa instinctivement qu’il n’était pas chanteur. Il s’est tourné vers l’art de monologues, et a remporté un véritable succès. Sur les théâtres et aux cinémas, il s’impose et interprètera des rôles phares dans des films égyptiens cultes.
En tout cas, Choukoukou a prouvé que tout ce qui est authentique représente une pépite rare qui sera toujours incomparable.