Par: John Edward
C’est avec une émotion vive, mêlée d’appréhension et de joie, que j’ai posé pour la première fois, depuis quinze ans, le pied sur le sol américain. New York m’a accueilli dans son vacarme perpétuel, fidèle à sa réputation de ville qui ne dort jamais. Mais sous les néons étincelants et l’agitation des avenues, une question simple s’est imposée à moi, balayant toute autre pensée : Et maintenant ?
Le rêve américain, je le portais en moi depuis des années, comme tant d’autres jeunes en Egypte et dans le monde arabe. Un rêve forgé par des images lisses et idéalisées : une vie meilleure, des opportunités infinies, un avenir brillant. Mais ces représentations, largement véhiculées par les films et les séries, masquent la vérité brute : le succès n’est ni un don tombé du ciel ni une simple affaire de patience. Il est l’aboutissement d’efforts constants, de sacrifices silencieux et de luttes quotidiennes.
Dès mon arrivée, j’ai su que mon salut passerait par le travail. Peu importe sa nature ou sa pénibilité, mon objectif était clair : réussir. Ce désir ardent d’ascension, hérité de ma personnalité de Scorpion – combative et déterminée – m’a servi de boussole.
New York, dans son tumulte, m’a rappelé Le Caire par son rythme effréné et ses rues engorgées. Mais l’inconnu – les visages, les coutumes, les silences – m’a assailli. Les questions se bousculaient : quand trouverai-je un emploi ? Sera-t-il digne ? Serais-je traité avec respect ? Peu m’importait alors de savoir si j’aurais le temps de profiter de la ville. Le plaisir viendrait après l’effort.
Heureusement, un parent, Polos Rafla, m’a accueilli dans son modeste appartement du quartier de Queens. Originaire comme moi du village de Qalousna, il incarne le modèle du jeune Égyptien courageux et solidaire. Avec trois autres colocataires issus de notre région, j’ai partagé un espace exigu prévu pour deux personnes. Mon lit ? Une vieille banquette cassée, au milieu du salon. Mon armoire ? Une valise. Et pourtant, malgré cette précarité, j’ai dormi profondément, sans plainte, car je savais que la route serait dure – et qu’elle commençait là.
Le lendemain, levé à l’aube, j’ai accompagné Polos à Manhattan pour chercher du travail. Bien que bredouille à la fin de la journée, j’ai reçu un soutien fraternel de la part de jeunes Égyptiens et Arabes établis ici. La soirée a viré à l’étrange quand les premières neiges ont paralysé la ville. L’un d’eux m’a alors tendu une pelle et m’a lancé avec bienveillance : “Voilà ton premier boulot : propose aux magasins de déblayer la neige devant leur porte. Ils te paieront cinq dollars chacun.”
Ironie du sort : moi qui rêvais de contempler les flocons en écoutant Fairouz et en sirotant un café, je les affrontais pelle à la main, trempé jusqu’aux os, le dos endolori. Ce fut mon baptême. En quatre heures, j’ai compris que l’Amérique des cartes postales n’existait pas. Mais j’y ai aussi trouvé quelque chose de plus précieux : une détermination inébranlable à tracer ma voie, pas à pas, vers ce que j’étais venu chercher ici. Le succès, le vrai.