Par : Samir Abdel-Ghany







C’est dans les ruelles étroites de la vieille ville du Caire, au cœur du quartier mystique d’El-Gamaliyya, que Fathi Ali a vu le jour. Fils des mosquées anciennes et des tombeaux des saints, enfant des ruelles où les récits populaires se transmettent d’un seuil à l’autre, Fathi Ali est un homme habité. Habité par les formes, par les couleurs, par les visages. Par la mémoire.
Aujourd’hui, c’est dans le quartier huppé de Zamalek que ses œuvres se dévoilent, dans un contraste saisissant entre le raffinement moderne de la galerie et la profondeur populaire de ses racines. Et pourtant, tout s’imbrique harmonieusement : car ses tableaux ne sont pas des fenêtres sur le monde, mais des miroirs intimes de ce qu’il a vu, vécu, senti.
Les visages de la mémoire
Depuis ses débuts, une chose le poursuit : des visages. Innombrables. Flottants. Comme ressurgis des limbes de son enfance, ils viennent à lui dès qu’il pose son pinceau sur la toile. Il ne les convoque pas, ils surgissent. Anciens compagnons de jeux, passants croisés un jour et oubliés, commerçants, mendiants, sages de quartier ou simples silhouettes… Ces figures ont imprimé son âme, et son art en devient l’écho. Elles sont à la fois réelles et fantasmées, familières et étrangères.
Dans chacune de ses œuvres, ces visages s’imposent — non pas dans une recherche mimétique, mais comme des fragments d’âme. Par la force du geste, par la vibration des couleurs, Fathi Ali fait parler l’invisible. Il ne peint pas des portraits : il peint des présences.

Un autodidacte habité par la quête
Fathi Ali n’est passé par aucune école. Son école, c’est la rue, la vie, le silence intérieur. Il s’est formé seul, guidé par une passion viscérale, un besoin irrépressible de créer. Chez lui, la toile devient théâtre, et les pigments les acteurs d’un drame intérieur. Chaque œuvre est un témoignage, un poème visuel où le lieu et le temps cessent d’être de simples décors pour devenir personnages à part entière.
Du réalisme au souffle de l’abstraction
Il ne s’agit pas, dans ses toiles, de copier le réel. Fathi Ali regarde au-delà. Il capture l’instant, l’émotion fugace, le frisson du souvenir. Son usage de la couleur est libre, audacieux. Parfois brutale, parfois caressante, la touche révèle l’essence. On sent chez lui un mouvement vers l’abstraction — non pas comme une mode, mais comme un aboutissement naturel de sa quête artistique.
Particulièrement dans ses portraits, il ne s’attarde pas sur les détails triviaux du visage. Il efface, il suggère, il exagère. Ce faisant, il parvient à dire plus. L’œil, la bouche, un trait à peine esquissé suffisent à révéler l’émotion, la force intérieure, la vulnérabilité. Le regardeur est appelé à sentir, à deviner, à ressentir plus qu’à voir.
Un langage spirituel et universel
Il n’est pas exagéré de dire que Fathi Ali peint avec l’âme. Chez lui, la peinture devient langage sacré, outil de révélation. Le rouge dit la passion, le bleu appelle à la contemplation, l’ocre évoque la terre natale. Il traduit les émotions en teintes, les souvenirs en gestes, les silences en lumière.
Un artiste en mouvement
Ce qui frappe chez Fathi Ali, c’est son évolution constante. D’exposition en exposition, il explore, ose, déconstruit. Il abandonne parfois la rigueur du classique pour s’immerger dans d’autres écoles, avec une liberté et une maturité qui trahissent une grande sagesse artistique. Il ne cherche pas la reconnaissance — il cherche l’inconnu.
Son œuvre dit une chose essentielle : on ne crée pas pour plaire, mais pour exister. Et dans ce monde d’images standardisées, son travail rappelle que le véritable art est d’abord un acte de vérité.
Une invitation à ressentir
Jusqu’à la fin du mois de mai, les murs de la galerie Art Corner à Zamalek accueillent cette plongée sensorielle. Pour les amateurs d’art, les artistes en devenir, ou simplement les âmes sensibles en quête de beauté vraie, c’est une invitation précieuse. Une rencontre avec un homme simple, rêveur, puissant : Fathi Ali, l’artiste qui fait parler les visages oubliés.