Par Samir Abdel-Ghany








Il est des rencontres qui bouleversent, des lieux qui vous imprègnent, et des œuvres qui vous traversent comme un souffle ancien chargé de sens. C’est à Dahchour, dans la chaleur douce d’un matin de tournage pour l’émission Les Gens bien, que s’est ouverte une parenthèse rare. Loin des plateaux, dans l’intimité de sa maison-atelier nichée à l’ombre des pyramides, le docteur Ahmed Abdel Karim nous a reçus. À mes côtés, mon épouse Marwa Ezzedine à la préparation, et notre fils Youssef, caméra à l’épaule, pour capter cette immersion sensible.
Dahchour n’est pas un simple décor. C’est un théâtre sacré, un écho millénaire où l’histoire murmure à l’oreille des âmes attentives. Le docteur Abdel Karim en est l’un des interprètes les plus fervents. Là, entre le bruissement des palmes et le silence des pierres antiques, il puise son souffle créatif. L’artiste nous parle avec une douceur habitée de son lien viscéral à l’Egypte ancienne, de ces hiéroglyphes qui résonnent en lui comme des prières oubliées. La huppe fasciée, cet oiseau totem des pharaons, revient souvent sous ses pinceaux, comme s’il portait en ses ailes le secret du temps.
Mais c’est à Rome, dans le prestigieux écrin de l’Académie d’Égypte, que ce lien intime avec sa patrie a récemment pris la forme d’un hommage vibrant : Bahebbek ya Masr (Je t’aime, ô Egypte). Un titre comme une déclaration d’amour lancée au monde. Le hasard du calendrier voulait que cette exposition coïncide avec les préparatifs de l’inauguration du Grand Musée Égyptien. Le symbole était fort. Le défi, immense.
Dans cette exposition, le docteur Abdel Karim s’est affranchi des cadres pour épouser la monumentalité : des toiles suspendues, longues de deux mètres, larges d’un. Sur ces tentures, il dialogue avec les dieux et les artisans d’hier, tisse un récit où le passé et le présent se tiennent la main. Il ne s’agit pas d’une simple reproduction d’un art ancien, mais d’une relecture contemporaine, imprégnée de son regard, de son vécu, de sa terre.
Bahebbek ya Masr n’est pas qu’une exposition : c’est une offrande. Un acte de foi dans la puissance du beau, dans la capacité de l’art à relier les peuples, à franchir les frontières et à défier l’oubli. Le docteur Abdel Karim porte sur ses épaules l’héritage d’un pays, non comme un fardeau, mais comme une flamme qu’il nourrit et transmet.
Cette visite à Dahchour fut plus qu’une simple étape dans un programme télévisé. Ce fut une traversée : celle d’un univers où chaque pierre, chaque plante, chaque motif peint devient messager d’une Egypte éternelle. Et dans le regard de cet homme humble et habité, l’art se fait langage, mémoire et promesse.
Rome a vu les toiles. Nous, à Dahchour, avons vu l’âme.



