Le lancement du nouveau programme télévisé « Dawlat al-Tilawa », destiné à révéler des talents dans l’art de la récitation coranique, a suscité un débat inattendu mais virulent : celui du rôle d’une présentatrice voilée, Aya Abdelrahman, dans un programme religieux de grande visibilité. Certains internautes réclament son remplacement par un homme, tandis que d’autres la défendent comme un modèle de compétence et un symbole de « soft power » culturel. Ce débat reflète des enjeux plus larges : genre, tradition, pouvoir médiatique et modernité religieuse.
Par : Hanaa Khachaba
Pour certains observateurs et internautes, la présence d’une femme à la tête d’une émission de récitation coranique pose problème non pas sur le plan de la compétence, mais sur celui du symbolisme : un programme aussi solennel, lié au sacré, devrait être confié à un homme, selon eux. Cette demande de « remplacement » soulève des questions profondes sur la place des femmes dans les espaces religieux médiatisés.
Derrière ces critiques se devinent des stéréotypes persistants : l’idée que certaines « missions sacrées » nécessitent une « autorité masculine », ou que la sacralité du Coran se prête moins bien à une intervention féminine médiatique. Ce positionnement relaie aussi des conceptions conservatrices du rôle féminin dans l’espace public et religieux.

A l’inverse, de nombreuses voix politiques, médiatiques et religieuses soutiennent fermement Aya Abdelrahman. La ministre de la Solidarité sociale, Maya Morsi, a fermement condamné les appels à son remplacement, affirmant qu’ « évaluer sur la base du genre » revient à passer à côté de son rôle réel : celui d’une « interface culturelle »capable de gérer un format exigeant.
Plusieurs personnalités médiatiques, comme TamerAmin, estiment que les attaques ne tiennent pas sur le plan professionnel : selon lui, critiquer Ayauniquement parce qu’elle est femme revient à objecter une « inégalité de mentalité » plutôt qu’un réel problème de compétence. De même, AzzaMustafa la décrit comme un modèle inspirant, soulignant que son rôle peut encourager plus de femmes à participer à des programmes religieux et culturels d’envergure.

Le débat ne se résume pas à des affrontements de genre : il véhicule aussi une vision stratégique : celle d’une « force douce » (soft power) fondée sur l’idée qu’une femme voilée, éduquée et compétente dans un cadre religieux, peut incarner un message progressiste sans renier la tradition.
Dans son intervention, la ministre Morsi évoque des figures historiques féminines de la récitation en Égypte — les « sheikhat » — comme Mounira Abdo ou Karima al-Adliya, pour rappeler que la participation féminine dans les domaines religieux n’est pas nouvelle. Son discours appelle à ouvrir un parcours féminin dans la compétition, afin d’inclure davantage de voix féminines dans l’art de la récitation.
Le succès de l’émission en termes d’audience et de viralité renforce la portée du débat. Le programme est parmi les sujets les plus discutés sur X dans plusieurs pays arabes, signe que cette controverse dépasse le simple cadre national.
Le format, une compétition avec des juges religieux, un jury exigeant, un grand prix, confère une dimension sérieuse et structurée : ce n’est pas un simple show religieux, mais un projet à la fois spirituel et culturel. Le journaliste d’Al-Ahramestime que ce programme prouve qu’on peut promouvoir des contenus religieux respectueux, innovants et populaires sans céder au sensationnalisme.

Ce débat ouvre plusieurs perspectives d’évolution dans la société égyptienne :
• Redéfinir les rôles : L’acceptation d’une femme comme visage principal d’un grand programme religieux peut être un pas vers une reconnaissance plus large des femmes dans les médias religieux.
• Réconcilier tradition et modernité : Proposer un chemin où les valeurs musulmanes profondes et la représentation moderne des femmes ne sont pas antagonistes.
• Renforcer la participation : En ouvrant un « parcours féminin » dans la compétition, le programme pourrait encourager davantage de lectrices talentueuses à se produire.
• Message symbolique international : Dans un monde hyperconnecté, ce type d’émission peut projeter une image d’Egypte moderne, fidèle à son héritage religieux, tout en valorisant l’égalité des genres.
La controverse autour d’Aya Abdelrahmann’est pas qu’un simple débat de « présentation télévisée », elle cristallise des tensions profondes liées au genre, à la tradition et à la modernité. En la défendant, certains voient une stratégie réfléchie : faire de la télévision religieuse un espace d’émancipation et de symbolique progressiste. Mais les critiques rappellent que ces évolutions doivent être pensées avec prudence pour ne pas heurter les sensibilités, tout en respectant le caractère sacré du contenu.
Le débat est loin d’être tranché, et il pose une question majeure : l’Egypte médiatique de demain sera-t-elle capable d’allier foi, compétence et égalité ?





