La journaliste égyptienne Samar Fouda, fille du penseur et historien Farag Fouda, a mis un terme à la polémique qu’elle avait elle-même provoquée sur les réseaux sociaux. Tout est parti d’une publication sur Facebook où elle critiquait la photo d’un couple originaire de Haute-Egypte, vêtus de leurs habits traditionnels, la galabiya, lors de leur visite inaugurale au Grand Musée égyptien. Face à la déferlante de réactions indignées, elle a fini par supprimer son post et présenter des excuses publiques.
Par : Hanaa Khachaba
L’histoire commence lorsque la photo de « Am Rachad » et de son épouse, venus du village de Khawaled Abou Choucha (gouvernorat de Qena), a envahi les réseaux sociaux. Le couple, habillé de manière simple et traditionnelle, assistait à la première journée d’ouverture du musée, le 4 novembre.
L’image, largement relayée, a été saluée comme symbole du lien entre le peuple et sa civilisation millénaire. Mais Samar Fouda a choisi de nager à contre-courant. Elle a jugé que cette photo ne représentait pas « l’image moderne et raffinée » que l’Egypte devait montrer au monde. Elle a dit « Ils ne représentent en rien l’Egypte, ni dans la forme ni dans le fond. (…) Cette image ne reflète pas la culture et l’identité de notre pays. »
Ces propos ont déclenché une vague de colère. Des milliers d’internautes ont défendu la galabiya comme un symbole du patrimoine égyptien, accusant la journaliste de mépris social et de dénigrement du peuple.
Un avocat, Haitham Mohamed Bassam, a même déposé une plainte officielle auprès du procureur général, l’accusant d’« insulte au peuple égyptien » et de « harcèlement d’une catégorie sociale » sur les réseaux.

De son côté, Am Rachad a réagi avec dignité : « La galabiya est une fierté pour tout Saïdi. C’est un symbole d’authenticité, pas une honte. Ma femme était habillée décemment et fièrement. La galabiya restera une couronne sur la tête de chaque homme du Sud. »
Finalement, face à la pression populaire, Fouda a supprimé sa publication et présenté ses excuses, affirmant être fière de ses racines rurales, rappelant que son père lui-même portait souvent la galabiya blanche. La jeune journaliste a ensuite reconnu que la galabiya reste un symbole d’identité et d’authenticité égyptienne. « Je présente mes excuses à tous les Egyptiens, et surtout au couple. Ils sont notre fierté. Mon intention a été mal comprise », a-t-elle conclu avant d’ajouter « L’Egypte est un monde miniature, où toutes les cultures et tous les styles se rencontrent. »
En somme, cette « querelle de la galabiya » révèle la sensibilité du débat sur l’identité culturelle et sociale de l’Egypte contemporaine, entre tradition et modernité.
L’Egypte, carrefour des styles et des symboles
Peu de pays au monde possèdent une telle diversité vestimentaire que l’Egypte. D’Assouan à Alexandrie, des tenues du Delta aux habits du Saïd, chaque région porte son empreinte. La galabiya, longue robe fluide portée aussi bien par les hommes que par les femmes, demeure un symbole d’authenticité et d’identité populaire. Elle évoque le monde rural, la simplicité et la fierté d’appartenir à une terre millénaire.
En parallèle, dans les grandes villes, le costume occidental, les robes modernes et le voile stylisé reflètent une autre facette de l’identité égyptienne : celle d’un peuple ouvert, créatif, toujours à l’avant-garde du monde arabe dans les domaines de la mode et de la culture. Entre le jean du Caire, la mellaya laff d’Alexandrie et la galabiya du Sud, c’est toute une mosaïque de styles qui coexistent, parfois en tension, souvent en harmonie.
Mais la polémique autour du couple de Haute-Egypte photographié au Grand Musée égyptien a révélé combien ces symboles vestimentaires peuvent être chargés d’enjeux sociaux et culturels. Aux yeux de certains, la galabiya renverrait à une Egypte « rurale » ou « arriérée ». Pour d’autres, au contraire, elle incarne la vraie Egypte, celle des racines, du travail et de la dignité.

Le vêtement, miroir social et politique
En Egypte, s’habiller n’est jamais un acte neutre. Les vêtements traduisent souvent un positionnement social, religieux ou culturel. Dans un pays où les classes et les origines régionales se côtoient au quotidien, l’apparence devient parfois un langage silencieux. Certains choisissent des tenues modernes pour exprimer leur appartenance à un monde globalisé ; d’autres, au contraire, revendiquent leur attachement à la culture locale et à la simplicité des origines.
Ce débat est aussi révélateur d’une tension plus profonde : qui décide de ce qui « représente » l’Egypte ? Les propos de Samar Fouda, en jugeant qu’un habit traditionnel ne reflétait pas « l’image moderne du pays », ont heurté une opinion publique de plus en plus sensible à la question du respect des différences.
Car si l’Etat promeut aujourd’hui une image culturelle unifiée, celle d’une Egypte à la fois ancienne et moderne, la société civile, elle, revendique le droit à la pluralité : pluralité des styles, des traditions, des visages et des voix.
En affirmant que « la galabiya est une couronne sur la tête de chaque Saïdi », Am Rachad a rappelé que l’authenticité n’exclut pas la modernité. Porter la galabiya, le voile, le jean ou le costume devrait relever d’un choix individuel, non d’un jugement collectif.
En réalité, l’affaire Fouda a ravivé une vérité essentielle : il n’y a pas une seule Egypte, mais des Egypte(s), toutes aussi légitimes les unes que les autres. Et dans cette pluralité, chaque citoyen a le droit d’exister, de se vêtir et de représenter son pays à sa manière, sans honte et sans jugement. La « querelle de la galabiya » aura eu au moins un mérite : rappeler que la modernité ne se définit pas par le rejet du passé, mais par la capacité à l’embrasser avec intelligence et respect.





