Dans une ère marquée par la vitesse, la compétitivité, les crises, etc. la recherche désespérée d’une planque devient de plus en plus évidente. En prenant en compte que notre style de vie est plutôt virtuel, ce ne serait pas une surprise que le terrain d’une telle recherche soit probablement la toile.
En effet, sur les réseaux sociaux comme YouTube, on trouve des vidéos présentées de manière inhabituelle. On y voit les présentateurs ayant recours aux chuchotements, ou produisant des sons à l’aide d’outils comme une brosse à cheveux, ou par des tapotements ou autres.
Certains vont jusqu’à demander aux spectateurs de se masser le crâne. L’objectif est de les aider à se relaxer et à mieux dormir. Il s’agit d’une technique appelée ASMR.
Par Ghada Choucri
L’ASMR , de l’anglais Autonomous Sensory Meridian Response, que l’on peut traduire par « réponse autonome sensorielle culminante » est une sensation distincte, agréable, de picotements ou frissons au niveau du crâne, du cuir chevelu ou des zones périphériques du corps, en réponse à un stimulus visuel, auditif, olfactif ou cognitif, a fait savoir le magazine américain en ligne Vice, dans un article publié en juillet 2012. Bien que ce phénomène ait toujours existé, il n’a commencé à être popularisé que dans les années 2010. Jenn Allen, qui a fondé le site ASMR-research.org, explique qu’« autonome » ou « automatique » fait référence à l’idiosyncrasie des personnes pratiquant l’ASMR, la « réponse » variant d’une personne à une autre. Les discussions en ligne de groupes tels que Society of Sensationalists (la société des sensationnalistes, sur Yahoo!), formé en 2008, ou le blog The Unnamed Feeling (la sensation sans nom), créé par Andrew Mc Muiris en 2010, avaient pour but de permettre à une certaine communauté d’en apprendre davantage sur cette sensation, en partageant des idées et des expériences personnelles. Les autres façons de décrire la sensation d’ASMR évoquent un « massage cérébral » et des « picotements et frissons dans la tête, le cerveau et la colonne vertébrale ». Ce phénomène est maintenant exploité via des vidéos de relaxation sur internet. Elles « déclenchent » l’ASMR grâce à diverses techniques : voix douces, tapotements, chuchotement, etc. Cette technique est utilisée pour la relaxation, pour aider à s’endormir. Elle acquiert peu à peu une communauté, selon un article publié à The Guardian en novembre 2015. Apaisantes, drôles par moments, parfois suggestives, ces vidéos vous plongent dans un cocon : « La personne qui vous chuchote à l’oreille prend soin de vous. On retourne dans les bras de sa mère. C’est très régressif. Les sons et leurs effets de profondeur vous caressent le cerveau », a avoué le neurologue et auteur de Chatouilles (et autres petits tracas neurologiques), Dr Laurent Vercueil au magazine Santé dans un article publié en février 2022. Le spécialiste s’est expliqué en indiquant que nous avons davantage de neurones consacrés à l’audition que pour tous les autres sens réunis. Selon une étude scientifique (Plos One, juin 2018), chez les personnes qui sont sensibles à l’ASMR, cette méthode ralentit les battements du cœur et augmente la conductance de la peau, ce qui traduit une réponse du système nerveux. Une étude publiée en 2022 dans la revue Plos One (source 1) a suggéré que les personnes les plus capables de ressentir l’ASMR pouvaient avoir des niveaux élevés de névrosisme (prédisposition à ressentir des émotions négatives dont l’anxiété), même si le lien précis entre l’ASMR et les traits de personnalité n’est toujours pas clair. « Cela suggère que les personnes adeptes de l’ASMR ont aussi une plus grande prédisposition à l’anxiété, et qu’elles peuvent l’atténuer en regardant des vidéos ASMR », ont conclu les chercheurs. Mais comment expliquer l’effet de ces vidéos très particulières sur nombre de personnes qui semblent tout à fait saines d’esprit ? D’abord par la très bonne qualité du son diffusé : les auteurs de vidéos ASMR utilisent le plus souvent des micros binauraux, qui permettent de donner beaucoup plus de réalisme, de profondeur et de relief aux sons enregistrés. Sensation amplifiée par l’utilisation d’un casque.
Le simple fait de se donner du temps à soi, en s’isolant de l’extérieur, joue sans doute aussi dans l’installation de la sensation de détente, comme l’explique Aurélie Bernardi, psychopraticienne à Lourdes dans les Hautes-Pyrénées : “Le chuchotement renvoie peut-être à l’enfance, aux sons entendus petits. La très bonne qualité du son accentue l’impression d’être dans une bulle. Enfin l’idée de partage, puisque ces vidéos sont gratuites, participe au climat de bienveillance très présent dans le discours des auteurs de ces vidéos. Tout cela favorise la mise sur “pause” du cerveau.”, explique-t-elle dans un article publié au magazine français Marie-Claire. Elle-même adepte des vidéos ASMR, Aurélie les utilise pour s’endormir ou faire des pauses de trente minutes dans la journée, et va jusqu’à les recommander à certains de ses patients : “Pour faire baisser le stress ou lutter contre l’insomnie, c’est une technique de relaxation qui en vaut bien d’autres.” Comment partir en voyage vers l’ASMR ? Préparer ses bagages : Assise ou allongée dans un espace tranquille (pour ne pas être dérangée), avec ordinateur ou téléphone portable, s’équiper impérativement d’un casque afin de profiter d’une excellente écoute des sons binauraux des séquences : comme pour toute relaxation ou voyage sonore, on se met en condition ! Reste ensuite à taper sur YouTube les 4 lettres-clés, ASMR… et l’on embarque ! Choisir sa destination : Pour débuter, on cherche ses déclencheurs, c’est-à-dire les sons (ou situations) susceptibles de nous détendre.
Crépitements, crissements de papiers, bruits de bouche ou de pages d’un livre qui se tournent, tapotements sur diverses surfaces, sons de caresses, brossage de cheveux ou massage : le choix est extrêmement large, juste en tapant les mots-clés susceptibles de nous plaire. On peut aussi opter pour des jeux de rôles plus visuels (« Role play » dans les motsclés), pour se retrouver face à de (faux) coiffeurs, médecins, infirmières, esthéticiennes… Explorer d’autres contrées : Si certains déclencheurs (et vidéastes) nous « embarquent » rapidement, on peut s’y abonner, mais libre à vous de chercher aussi d’autres auteurs, thèmes et styles de vidéos, pour créer un panorama de séquences inspirantes.
Chacun a ses propres stimuli (parfois liés à l’enfance, aux souvenirs…), autant partir à la découverte des siens ! Suivre son propre itinéraire : Le “bon” rythme est d’une séance hebdomadaire, mais on peut faire plus : il n’y a pas de risque à se poster fréquemment devant des vidéos ASMR si l’on en ressent l’envie pour se détendre. Si les sensations, bien présentes au début, s’atténuent ou disparaissent au fil des séquences, il s’agit de ce que les auteurs appellent “l’immunité à l’ASMR” : il faut ralentir le rythme, et même faire une pause de 2 semaines pour se déshabituer, avant de reprendre.