La traduction, c’est un art ainsi qu’un métier qui reste très subtil et qui nécessite beaucoup de finesse pour traduire l’esprit du texte, dépasser les frontières linguistiques pour enfin rétablir la particularité culturelle d’une œuvre. Autour de l’art de la traduction, de l’enseignement de cette science et des difficultés rencontrées par le traducteur, le Progrès Egyptien s’est entretenu avec Dr Nour El Hoda El Meliguy, maître de conférences à la Faculté des Lettres dans le département de langue et de littérature françaises de l’Université du Caire. Elle s’est spécialisée dans la traduction écrite et consécutive pour laquelle elle affiche une passion hors pair.
Autour des difficultés rencontrées par le traducteur, Dr El Meliguy a dit : « Il y a plusieurs années, j’ai choisi la traduction comme domaine de spécialisation parce que là ce sont des études bilingues, ce n’est pas seulement le français, je ne me limite pas uniquement au public francophone, mais aussi aux arabophones. J’ai récemment tenu un séminaire dans le département à la Bibliothèque centrale de l’Université du Caire au coin francophone. Ce séminaire était axé sur la traduction des transferts culturels dans l’œuvre de Naguib Mahfouz. J’ai traité plusieurs romans de Mahfouz comme sa trilogie, surtout Impasse des deux Palais, j’ai travaillé aussi sur Passage des miracles, Le voleur et les chiens et j’ai aussi fait référence à d’autres écrivains comme Youssef Idris surtout sa nouvelle œuvre intitulée Péché mortel, et Taxi de Khaled Al-Khamissi. Bref, j’ai travaillé sur des œuvres classiques, mais aussi sur des œuvres contemporaines pour voir comment les expressions qui sont typiquement culturelles sont traduites en français. Des expressions qui présentent un défi pour le traducteur comme par exemple « Ehna zanra el –nabi » (Le Prophète nous a rendu visite) qui a été traduite par « le ciel vous envoie ». Des expressions purement égyptiennes et souvent religieuses présentent un défi car la traduction littérale risque de tomber dans le piège du folklore et le sens principal se perdra. A mon avis, dans ce cas, ces expressions à connotation religieuse présentent plutôt une pratique langagière et non pas uniquement un attachement à la religion. Car, nous utilisons tous ce type d’expression, même si certaines personnes ne sont pas pratiquantes, elles utilisent ces expressions qui sont une partie de notre identité égyptienne ». Elle a ajouté : « Je m’intéresse surtout à tout ce qui concerne la culture en traduction, parce que c’est la partie la plus intéressante. Durant mon intervention dans le séminaire, qui avait été déjà présentée dans un webinaire organisé par l’Université Pablo de Olavide en Espagne en collaboration avec l’Université du Caire et était basée sur la culture en traduction, j’ai remarqué que cela intéresse tous les linguistes même ceux qui ne sont pas spécialisés en traduction. Dès qu’on parle de la traduction de transferts culturels, cela suscite la curiosité ».
Concernant la traduction des œuvres mahfouziennes, elle a expliqué : « On ne peut pas nier que ces traductions ont joué un rôle considérable pour la renommée de Naguib Mahfouz à l’échelle mondiale. Je ne vais pas juger ces traductions, mais ce qui m’intéresse, c’est d’étudier avec mes étudiants les stratégies de traduction adoptées par les différents traducteurs ainsi que la réception de ces traductions. Comment ont-elles orienté le lecteur en ce qui concerne tout ce qui est culturel. Il faut reconnaître qu’il y a parfois des difficultés car comme je viens de le signaler, il y a des connaissances culturelles qui dépassent tout ce qui est linguistique, comme des expressions et des termes très particuliers. C’est la finesse de la langue qui demande une bonne connaissance culturelle de la société égyptienne à une certaine période et une certaine époque. En préparant ma thèse de doctorat sur la traduction du roman maghrébin bilingue, j’ai eu la chance d’interviewer des traducteurs français comme Catherine Charruau, traductrice des Fleurs d’amandier de Waciny Laredj et Yves Gonzalez-Quijano, traducteur du Jeu de l’oubli de Mohamed Berrada en collaboration avec Abdellatif Ghouirgate. Et avec vous, bien évidemment pour votre traduction du Fils du pauvre de Mouloud Feraoun. Dans certains cas, il y a des expressions qui font partie de la langue vernaculaire et il fallait recourir à l’auteur lui-même car on ne peut trouver tout dans les dictionnaires et c’est ce que j’essaie d’apprendre à mes étudiants ».
Au sujet du recours de la traduction à l’intelligence artificielle, Dr El Meliguy a assuré que l’intelligence artificielle ne peut saisir ni le côté culturel, ni le côté humain dans la traduction. « C’est ce que mes étudiants ont souvent posé comme question : est-ce que l’intelligence artificielle peut nous remplacer ? Je les rassure. A mon avis, le traducteur peut se servir de la traduction automatique, que ce soit des logiciels, ou même récemment des applications comme ChatGPT, mais dans ce cas, il devient réviseur, et non pas traducteur. Car, on ne peut pas se contenter de la traduction automatique. La machine ne peut complètement remplacer l’Homme ».