Dans le dialecte égyptien, les émotions et l’intellect se livrent une bataille savoureuse, une valse tantôt tendre, tantôt cruelle, entre le feu du cœur et la fraîcheur de l’esprit. Le Progrès Égyptien vous invite cette semaine à une escapade linguistique et humaine, suspendue entre passion et réflexion, tel un funambule cherchant l’équilibre entre le vertige du sentiment et la solidité du bon sens.
• Al-’aql zîna – L’intelligence est un ornement :
Dans la société égyptienne, réfléchir est perçu comme un éclat de sagesse, une couronne posée sur la tête des raisonnables. Pourtant, cette expression, louant la clairvoyance, est souvent maniée avec une ironie mordante. Car bien souvent, ceux qui s’en réclament en manquent cruellement…
• Albi dalili – Mon cœur est mon guide :
Qui n’a jamais laissé son cœur prendre le gouvernail, bercé par l’illusion que ses battements détiennent une vérité plus pure, plus intime que les raisonnements froids ? En Égypte, on ne suit pas toujours la logique. On suit ce qui palpite. Ce qui tremble. Ce qui aime.
• ‘Aqlou khaf – Son esprit s’est allégé :
Lorsqu’un individu semble pris d’un trouble de jugement, que ses décisions deviennent erratiques, on dit que son cerveau est devenu plus léger. Cette formule populaire évoque la perte de repères rationnels. Une image curieuse, issue d’une croyance ancienne : plus le cerveau est volumineux, plus l’intelligence abonde… Une croyance que la silhouette discrète du cerveau d’Einstein vient contredire avec éclat.
• Albou aswad / abyad – Un cœur noir ou blanc :

Le noir pour la rancune, la dureté, parfois la cruauté. Le blanc pour la bonté, la clarté d’âme et la bienveillance. En Egypte, la couleur du cœur dessine les contours de la personnalité. Elle murmure, en silence, les valeurs cachées derrière les gestes.
Quelques proverbes, enfin, viennent parsemer ce riche paysage émotionnel :
• ‘Ala albou marawih – Il a des ventilateurs sur le cœur :
Expression poétique pour dire qu’une personne est d’une lenteur exaspérante, insensible aux tumultes du monde. Comme si l’été avait soufflé sur elle sa torpeur, la laissant dans une douce somnolence.
• Eshtri démâghak – Achète ta tête :
À ceux qui fuient les conflits et les tracas, on conseille de « s’acheter leur tête »… autrement dit, de préserver leur paix intérieure, d’abandonner les querelles et de faire de leur esprit un sanctuaire tranquille.
Ainsi va la sagesse populaire égyptienne, entre éclats de rire et soupirs de vérité. Entre cœur qui s’enflamme et raison qui murmure. À qui dire non ? Peut-être à personne. Peut-être faut-il simplement écouter les deux.