Être paresseux ou trop studieux… Quelle posture inspire davantage de sympathie ? Hélas, aucune des deux ne semble recueillir les faveurs populaires. Le paresseux agace, il donne l’impression de s’enraciner là où il se trouve, tel un meuble inutile. Quant à l’élève trop assidu, il finit par déranger, accusé d’en faire trop, d’être déconnecté d’un monde qui préfère la demi-mesure. En Egypte, mieux vaut ne pas être un fainéant, mais surtout, il faut éviter d’être un fainéant sans valeur – comme un vieux sac de fruits oublié.
Tanbal
Dans les ruelles du Caire ou sur les bancs des écoles, il suffit d’un mot pour désigner le paresseux : tanbal. Ce mot, issu du dialecte égyptien, résonne comme une moquerie tendre mais piquante. Et si quelqu’un pousse l’oisiveté à l’extrême, on le traite de «tanablet el-sultan», littéralement «un des paresseux du sultan». Une expression née d’une vieille histoire : autrefois, un sultan ordonna la création d’un hospice pour les anciens. Mais avec le temps, ce lieu devint le refuge d’âmes trop fatiguées pour la vie – ou simplement trop paresseuses pour y prendre part. Ainsi, le foyer des vénérables devint le royaume des tanbal. Depuis, le terme désigne avec ironie ceux qui fuient l’effort sous couvert de repos.
Mousse
Ne vous y trompez pas. Ici, le mot «mousse» ne désigne ni dessert onctueux ni vague légère. En Egypte, être «mousse» signifie tout autre chose : c’est le surnom donné à l’élève rigoureux, celui qui apprend ses leçons jusqu’à la dernière virgule. C’est aussi celui ou celle qui excelle dans son domaine, professionnel ou académique. Le mot puise sa force dans une image : mousse, c’est la lame du rasoir, celle qui tranche net, sans hésitation. Une métaphore vive pour désigner les esprits affûtés.
Kisse gawafa
L’été arrive et avec lui le doux parfum des goyaves, fruit des souvenirs et des marchés éclatants.
Fraîche, en jus ou mélangée au lait, la goyave est un délice éphémère. Pourtant, dans le langage populaire, elle peut prendre une tournure moins flatteuse. Dire d’un individu qu’il est un kisse gawafa – un sac de goyaves – c’est insinuer qu’il est sans valeur, dépourvu de consistance. Ainsi va la langue populaire : elle transforme les fruits de saison en images cinglantes.
Proverbes et sagesse
«El-helow mabykmalsh» – rien n’est parfait. Cette maxime égyptienne nous rappelle que toute chose belle porte en elle une faille, une ombre.
Loin d’être une fatalité, c’est une invitation à goûter l’instant, à chérir ce que l’on a, même si cela est imparfait. Car la beauté réside parfois dans l’inachevé.
Enfin, dans le cœur des Égyptiens résonne une vérité plus grande encore : «el-donia fania» – ce monde est passager.
Ils vivent avec cette conscience spirituelle que tout ici-bas n’est que provisoire.
Alors ils rient, ils aiment, ils pleurent, mais toujours avec cette légèreté grave, ce détachement pudique qui les pousse à ne jamais tout prendre trop au sérieux.