La décision de rester dans son pays d’origine ou de partir à la recherche d’un meilleur avenir est une question complexe qui dépend de nombreux facteurs personnels, familiaux, professionnels et socio-économiques propres à chaque individu. Chacun doit peser les avantages et les inconvénients de chaque option pour prendre la décision qui lui semble la plus appropriée à sa situation. Dans le grand théâtre de la mondialisation, un drame silencieux mais poignant se déroule sous nos yeux : l’exode des cerveaux.
Par : Hanaa Khachaba
Tel un ballet tragique, des esprits brillants s’envolent, laissant derrière eux un vide intellectuel et émotionnel dans leur terre natale. Cette migration des intelligences, cette quête de terres plus fertiles pour l’esprit, soulève des questions cruciales sur les dynamiques du savoir et du pouvoir dans notre monde moderne.
Les migrants n’entendent pas se cantonner à une fonction d’objet ou de variable d’ajustement des politiques migratoires des Etats. Le choix de migrer, ou non, résulte d’une analyse coûts/avantages reposant sur plusieurs critères : conditions de rémunération, de travail, modes de vie, perspectives de promotion sociale et d’avancement professionnel, conditions d’hospitalité (ou de rejet), facilités ou tracasseries administratives, liens familiaux, coûts psychologiques… A ce jeu, les USA ou la Grande-Bretagne se montrent plus attractifs. Mais toutes les élites ne souhaitent pas quitter leur pays.
![](https://www.progres.net.eg/wp-content/uploads/2024/05/IMG_8139.jpeg)
Les raisons de cette fuite des cerveaux sont multiples et complexes. D’une part, les opportunités professionnelles et les conditions de travail attractives à l’étranger attirent les esprits les plus brillants. La recherche de meilleures rémunérations, de meilleures infrastructures, et de meilleurs environnements de travail pousse ces talents à quitter leur pays d’origine. D’autre part, les politiques inadéquates en matière d’éducation, de recherche et d’innovation dans les pays d’origine contribuent également à cette migration intellectuelle. Les conséquences de l’exode des cerveaux sont profondes et durables. Les pays qui perdent leurs cerveaux voient s’éroder leur base de connaissances, leur capacité d’innovation et leur compétitivité sur la scène internationale. Cela crée un cercle vicieux où le sous-développement intellectuel nourrit la fuite des talents, laissant derrière eux un pays appauvri sur le plan intellectuel.
Le départ des diplômés peut appauvrir les pays d’origine : coût de leur formation, perte de compétence, obstacle au processus d’accumulation des compétences, freins au développement… Selon la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED), les pays africains dépenseraient chaque année 4 milliards de dollars pour compenser le départ de leurs personnels qualifiés. Dans son rapport sur les perspectives de l’économie mondiale en 2050, le Fonds Monétaire International (FMI 2016), augure que l’Afrique perdrait pas moins de 35 millions de travailleurs qualifiés partis rejoindre les pays du nord.
Pour autant, la fuite des cerveaux (brain drain) pourrait constituer un gain ou brain gain en faisant du migrant un « passeur » ou un « intermédiaire ». Plusieurs mécanismes peuvent intervenir : transferts de fonds, réduction du chômage des diplômés, diffusion du savoir dans le cadre de retour ou via des processus d’imitation technologiques, incitation à la formation pour les jeunes du pays dans l’espoir de travailler à l’étranger, création d’entreprises grâce à l’épargne accumulée à l’étranger… Dans son rapport de 2018, la Cnuced écrivait : « Les migrants africains comptent des personnes de tout niveau de qualification, qui quittent leur pays par des voies légales ou par d’autres moyens. Non seulement ils remédient au déficit de compétences dans leurs pays de destination, mais aussi ils contribuent au développement dans leurs pays d’origine » (voir le rapport en ligne). Mieux, selon Milasoa Chérel-Robson, «la fuite des cerveaux est un fait mais il ne faut pas s’arrêter à ce constat. Il faut aussi parler des effets retours et de toutes les manières dont les migrants contribuent au développement de leur pays d’origine, par de la philanthropie, des investissements ou en y transmettant leurs nouvelles compétences, acquises grâce à la migration». Selon le rapport, les envois de fonds par les travailleurs expatriés – 51% des apports de capitaux privés en Afrique en 2016 – pourraient servir à l’avenir à garantir des prêts internationaux.
![](https://www.progres.net.eg/wp-content/uploads/2024/05/IMG_8140.jpeg)
Ces perspectives positives pour les pays d’origine restent conditionnées aux possibilités de retour et d’installation des migrants. Des possibilités qui relèvent des cadres juridiques des politiques migratoires des pays d’accueil et des conditions économiques et politiques des sociétés d’origine.
Pour lutter contre ce phénomène, une approche holistique est nécessaire. Les gouvernements doivent investir massivement dans l’éducation, la recherche et l’innovation pour retenir leurs talents et créer un environnement propice à leur épanouissement. Des politiques incitatives, telles que des programmes de retour au pays, des collaborations internationales et des infrastructures adaptées, peuvent également contribuer à inverser cette tendance néfaste.
Dans ce ballet de l’intelligence, l’exode des cerveaux représente donc à la fois une perte et une opportunité. C’est un appel à l’action pour les nations du monde entier, une invitation à repenser nos politiques, nos priorités et nos valeurs. En équilibrant la nécessité de mobilité intellectuelle avec le devoir de développement local, nous pourrons peut-être trouver un nouvel équilibre, une nouvelle harmonie où les esprits brillants pourront s’épanouir là où ils ont ensemencé leurs rêves.