
Un véritable voyage dans le temps où chaque objet raconte un pan de l’histoire.
Par Marwa Mourad
“Comme si les dernières années avaient effacé une histoire plurimillénaire.” Cette phrase d’Élodie Bouffard, commissaire de l’exposition, saisit l’un des enjeux majeurs au Moyen-Orient, où Trésors sauvés de Gaza, 5 000 ans d’histoire, à travers 123 œuvres préservées, témoigne d’une mémoire millénaire qui lutte pour survivre. À voir jusqu’au 2 novembre à l’Institut du monde arabe (IMA), à Paris.
Pousser les portes du sous-sol de l’IMA et arriver à Gaza. Mais cette fois, au-delà des images quotidiennes, aussi nécessaires soient-elles, de bombes et de ruines, découvrez une ville de Gaza insoupçonnée, riche d’une histoire qui s’étend sur des siècles et des siècles.
“On ne veut pas faire pleurer sur le patrimoine quand des gens luttent pour survivre, l’objectif est de lutter contre l’essentialisation du territoire, pour le réhumaniser en quelque sorte”, explique Élodie Bouffard. Il s’agit de dépasser la vision réductrice d’un territoire réduit au conflit et à la violence pour révéler une histoire plurielle et vivante, rappelant que Gaza est une terre habitée, façonnée par des cultures successives. Quelque 579 pièces sont toujours à Genève, enfermées dans des caisses, prisonnières des tensions politiques et logistiques, en attendant de pouvoir, peut-être un jour, retourner chez elles.
Carrefour commercial
“À Gaza, on plante quelque chose dans le sol, ça pousse”, rappelle Élodie Bouffard. Cette terre fertile, longtemps carrefour commercial entre Afrique et Asie, a été conquise par de nombreuses civilisations fascinées par sa richesse. Gaza la convoitée, Gaza que l’on veut faire tomber, conquérir, mais que l’on ne soumet jamais vraiment. La grande mosquée de Gaza, initialement une église du XIIe siècle, est devenue lors de la période mamelouk la grande mosquée de la bande de Gaza, avant d’être largement détruite par un bombardement israélien le 7 décembre 2023.
Véritable voyage dans le temps
L’exposition invite à un véritable voyage dans le temps, où chaque objet raconte un pan de l’histoire. Et cette histoire justement, “personne ne la connaît”, souligne Élodie Bouffard. Pour la découvrir, il suffit de se laisser guider parmi une centaine de pièces (amphores, mosaïques, statuettes) réparties sur deux niveaux. Dans la première salle, des trésors rares : une lampe à huile romaine, une Aphrodite grecque, des stèles funéraires arabes ou encore une mosaïque surprenante mêlant lion et girafe, autant de témoins des échanges, des conflits et de la vie vibrante qui animaient cette cité des rives levantines.
Son histoire commence véritablement à s’écrire au XIXe siècle, avec la découverte en 1879 d’une statue imposante de Zeus à Nusseyrât, aujourd’hui conservée au musée d’Istanbul. Mais c’est surtout à partir des années 1990, avec la création d’un Service des antiquités palestinien et la coopération franco-palestinienne, que les fouilles reprennent, révélant des sites majeurs : un monastère paléochrétien à Nusseyrât, des nécropoles romaines à Jabâliya, l’ancien port grec d’Anthédon à Blakhiya ou encore Tall al-Sakan, vestige clé de l’âge du bronze.
Les photos récentes exposées dans la seconde salle portent en elles toute l’ampleur de la tragédie. Sur de grands panneaux, les images montrent des fouilles interrompues, des archéologues au travail dans des paysages de ruines encore fumantes, leurs gestes figés par les bombardements d’octobre 2023. “Avant la guerre, on creusait, on redécouvrait des pans entiers d’histoire oubliée d’autant que la zone n’avait jamais été fouillée avant”, souligne Élodie Bouffard. “Ces photographies sont autant un hommage aux gens qui fouillent qu’un avertissement : voilà ce que l’on risque de perdre à jamais.”
“Lutter contre le révisionnisme”
Le mobilier de l’exposition est simple et sans fioritures, comme un clin d’œil aux entrepôts où les œuvres patientent, fragile rappel de l’urgence qui entoure ce projet. Elias et Yousef Anastas, deux architectes primés, creusent le lien entre artisanat et architecture, surtout à travers la pierre, matière brute et chargée d’histoire.
“Je ne connaissais pas l’histoire de ce territoire. C’est très enrichissant en termes d’information, de culture et de religion. Je ne pensais pas qu’il y avait autant à découvrir. L’exposition est super claire, avec des illustrations bien choisies, des objets récupérés et des éléments projetés”, confie Benoît, trentenaire et visiteur.
À quelques pas, Elvira, la cinquantaine et passionnée d’histoire, s’arrête devant une série de photos montrant des fouilles interrompues par des impacts d’obus : “Ça fait partie de l’histoire, c’est important pour les générations futures. Et même en temps de guerre, préserver ce patrimoine est essentiel : ça permet de lutter contre le révisionnisme.”
Une lueur d’espoir
Au cœur de cette tragédie, une lueur d’espoir : les jeunes archéologues et architectes de Gaza, formés par le programme Intiqal, lancé en 2017 par l’ONG Première urgence internationale. Malgré bombardements, coupures d’électricité et déplacements forcés, plus d’une centaine de diplômés s’emploient à inventorier, documenter et protéger ce patrimoine en péril.
Aujourd’hui, Gaza est à nouveau assiégée, dévastée, son patrimoine fragile menacé. Trésors sauvés de Gaza n’énumère pas seulement des objets anciens : c’est “un acte de résistance, un cri d’alarme, une invitation à imaginer un territoire où, malgré la présence constante de la mort, l’histoire ouvre une voie au-delà des ruines et du danger omniprésent”. “On souhaite que le grand public se rende compte de l’ampleur de cette fragile transmission et de cette archéologie de secours”, conclut la commissaire.