Gare Saint-Lazare est un roman de la nostalgie sans apitoiement, de la mélancolie sans pose, et de l’autodénigrement. Un bon modèle pour tous ceux que l’envie de se raconter démange. Un modèle dissuasif, car pour narrer l’imparfait, il faut être sacrément maître de ses moyens.
De quoi il s’agit ?
« J’avais une tâche pour la vie, qui en un sens résumait toutes les autres, me faire aimer de toi. »
Derrière cette phrase qui pourrait passer pour romantique se cache en réalité le drame de toute une vie, car cette phrase, c’est celle d’un fils qui s’adresse à sa mère.
Avec des décennies de recul, un homme revient sur les traces de son enfance et de son adolescence, dans la salle des pas perdus de la gare Saint-Lazare, les rues populeuses alentour, les cafés où les banlieusards boivent debout au comptoir avant d’attraper leur train. Habitant de la première couronne, c’était sa porte d’entrée dans Paris. A moins que la gare n’ait en somme représenté à ses yeux la ville tout entière ? C’est de là qu’il partait pour l’internat. Ou vers des familles d’accueil. Là qu’il errait avec un ami pour éviter de rentrer chez cette mère qui n’était pas toujours contente de le voir. Là qu’il est tombé amoureux d’une vendeuse à la sauvette qui aimait se moquer gentiment de lui.
Autour de lui, mille vies que son regard d’enfant meurtri lui fait voir avec une acuité particulière. Comme si la contemplation du monde en condensé que sont toutes les gares lui avait toujours tenu lieu de refuge, et offert l’espoir d’une réconciliation.
Quel en est le but ?
Le narrateur de Gare Saint-Lazare se remémore donc ses allées et venues dans la gare de l’ouest parisien, telle qu’elle existait jusqu’à son refourbissage, entre 2003 et 2012. Pensez, la plus importante gare de France, en nombre de voyageurs (et aujourd’hui toujours la deuxième), était restée dans son jus depuis sa reconstruction en 1885-1889. Un monument de la IIIe République transformé en espace commercial à deux niveaux. Exeunt les souvenirs associés à cet espace de rencontres fugaces, de regards entrevus, de frôlements sans lendemain.
C’est cela que raconte Dominique Fabre, dans un style flirtant sans cesse avec l’asyndète – la mémoire juxtapose les souvenirs, comme si de leur choc pouvait encore jaillir une lumière. Mais il ne prendra plus le dernier train – celui qui vous emporte vers une destination forcément fatale, cependant que la gare prend des airs « de fin du monde ».
Qui est Dominique Fabre ?
Il est né en 1960 à Paris. À trois ans, sa mère l’envoie avec sa sœur dans une famille d’accueil de Haute-Savoie, près d’Annecy.
À 12 ans, il retourne à Asnières, pour habiter avec sa mère et sa sœur une H.L.M. L’enfant est aussitôt mis à l’internat, un régime qu’il ne quittera plus jusqu’à la terminale.
À 17 ans, il fait un premier voyage aux États-Unis où se trouve sa sœur.
Après le bac, il fait deux années de khâgne, poursuit à Nanterre où il s’inscrit en Lettres mais bifurque aussitôt vers la philosophie. Il passe sa maîtrise de philosophie en travaillant sur Heidegger.
L’étudiant commence à envoyer des manuscrits aux éditeurs: cela durera plusieurs années, pendant lesquelles il cherchera du travail et fera de nombreux petits boulots.
À 23 ans, il part à la Nouvelle-Orléans où il restera un an, cumulant là aussi de courtes périodes de travail. Revenu en France, il travaille dans le tourisme et sur des chantiers d’appartements. C’est lors d’un de ces travaux qu’il rencontre sa femme, qui lui donnera deux fils. À cette époque, il trouve un poste de correcteur en imprimerie, puis en presse, pour le “Journal du textile”.
Quand il travaille le dimanche, il prend l’habitude d’aller manger dans une cafétéria où beaucoup d’hommes seuls déjeunent… C’est là qu’il trouvera le modèle de son Pierre Lômeur, ce chômeur longue durée qui se raconte dans “Un jour moi aussi, j’irai loin” qui est refusé par beaucoup d’éditeurs. Maurice Nadeau est le premier toutefois à remarquer ce nouvel écrivain, et le roman paraît en novembre 1995.
Son enfance, l’absence du père, la famille d’accueil et la banlieue ont très largement inspiré les livres qui suivront.
Dominique Fabre enseigne l’anglais.