Utilisé, dès l’époque prédynastique, dans la production artisanale comme dans l’architecture, l’albâtre calcite a très tôt été associé à la région de Hatnoub. Parmi les milliers de vases en pierre trouvés dans les galeries souterraines de la pyramide à degrés de Djéser, plus d’une centaine réalisée en albâtre porte des inscriptions mentionnant Hatnoub, ce qui indique que ce site fut exploité au plus tard au début de la IIIe dynastie, a-t-on appris du site de l’IFAO.
Avant la découverte de la carrière P et de ses inscriptions, l’autobiographie d’Ouni – un très haut fonctionnaire de la VIe dynastie – était la plus ancienne source relatant une expédition conduite à Hatnoub, sous le règne de Mérenrê Ier. Ce texte, qui présente Hatnoub comme la région d’extraction de l’albâtre, ne fournit aucune indication quant à la localisation exacte de ce site. C’est grâce à la célèbre représentation du transport du colosse en albâtre et au texte qui l’accompagne dans la tombe du gouverneur Djéhoutyhotep à Deir el-Bercheh que l’on put, pour la première fois, établir un lien entre Hatnoub et le nome de la Hase. Ce récit d’expédition laissait entendre que les carrières se situaient dans la région de l’antique Hermopolis, capitale du nome de la Hase.
Cette hypothèse fut vérifiée le 22 décembre 1891, date à laquelle la carrière P de Hatnoub et ses inscriptions rupestres furent découvertes par l’égyptologue Percy Newberry et son jeune dessinateur Howard Carter, à 18 km au sud-est de l’ancienne Tell el-Amarna.
Les travaux épigraphiques et archéologiques à Hatnoub
Dès 1894, Marcus Blackden et George Fraser publièrent 32 de ces inscriptions. Mais c’est véritablement le travail réalisé par Georg Möller à l’été 1907 qui révéla la richesse épigraphique et historique de ce site qui comptait alors 61 inscriptions rupestres et stèles. Celles-ci furent publiées, après sa mort prématurée, par Ruldolph Anthes en 1928 cite l’Institut Français d’Archéologie Orientale(IFAO).
Il fallut attendre une soixantaine d’années pour que l’on s’intéresse à nouveau à Hatnoub. Entre 1985 et 1994, Ian Shaw (University of Liverpool) a mené les premiers travaux archéologiques dans la région ; il a ainsi prospecté et documenté les nombreuses structures environnant la carrière P.
Fondée en 2012 et codirigée par Yannis Gourdon (Ifao) et Roland Enmarch (University of Liverpool), la mission épigraphique et topographique de Hatnoub visait en premier lieu à republier ces textes selon les normes épigraphiques en vigueur. Après 7 saisons dans la carrière P et sur le plateau de Hatnoub, cette mission est aujourd’hui un chantier archéologique à part entière, qui a déjà donné des résultats remarquables. En plus d’apporter des corrections et des ajouts substantiels aux textes déjà connus, nous avons considérablement augmenté le nombre d’inscriptions, qui est passé de 61 à 160. Nos fouilles ont également mis au jour des niveaux d’ateliers du Nouvel Empire, et nous avons découvert un système de halage de blocs exceptionnel comprenant notamment une rampe ascendante inclinée en certains endroits jusqu’à 22 % et qui pourrait être un jalon décisif pour comprendre la construction des grandes pyramides de Giza.
La carrière P de Hatnoub et ses inscriptions
La carrière P est au cœur d’un vaste réseau de voies antiques, de sentiers, et de pistes reliant à la fois les carrières entre elles et les carrières au Nil, le lieu d’embarquement des blocs d’albâtre pour des destinations variées. Près d’un millier de structures jalonnent ces voies et les abords de la carrière P. Ces installations très diverses vont du simple marquage topographique par des cairns à des abris semi-circulaires, des ateliers de taille de la pierre jusqu’à des structures cultuelles et des bâtiments administratifs.
La carrière P se présente sous l’aspect d’une gigantesque excavation à ciel ouvert, remplie de débris. Une descenderie, longue d’une centaine de mètres et large de 6 à 9 m, s’ouvre sur un cirque ovoïde d’environ 75 m sur 45 m et profond d’une vingtaine de mètres. Ce cirque constitue la partie principale de la carrière d’où l’albâtre était extrait durant l’Antiquité.
Réparties en différents secteurs de la carrière, les inscriptions présentent une grande variété, tant dans leur réalisation que dans leur contenu. Elles sont soit incisées, gravées et/ou peintes à l’encre rouge, inscrites en hiératique ou en hiéroglyphes, principalement sur les parois de la carrière et plus rarement sur des stèles commémoratives. Leur datation s’étend de l’Ancien au Nouvel Empire, avec un pic situé entre les VIe et XIe dynasties. Leur contenu va de la simple représentation anonyme d’un personnage, à des panneaux affichant le protocole d’un roi, aux récits développés d’expéditions en passant par des autobiographies idéalisées d’un individu.
Grâce à de nouvelles techniques de relevés permettant de distinguer des détails invisibles à l’œil nu, comme la Reflectance Transformation Imaging (RTI) ou le plugin DStretch développé par Jon Harman, nous avons apporté des corrections et des compléments notables à la quasi-totalité des 61 textes déjà connus et découvert plus d’une centaine de nouvelles inscriptions royales ou privées.
Parallèlement à ces actions, nous menons une vaste campagne de relevés photogrammétriques de la carrière P et de photographies en très haute définition de chacune de ses gravures et inscriptions, qui permettront de produire des relevés épigraphiques de qualité. À terme, l’ensemble de ces données seront intégrées dans des modèles généraux en trois dimensions, à l’échelle de la carrière et du plateau tout entier.