Au bord d’un marécage que le soleil n’aimait qu’à demi, vivait un crapaud au regard profond, habitué aux eaux lourdes et aux silences épais. Il passait ses journées immobile, le ventre posé sur la boue tiède, à observer le ciel comme on observe un rêve trop haut pour soi. C’est là qu’il la vit pour la première fois : une hirondelle, fine comme une promesse, fendant l’air d’un trait noir et bleu. Elle descendait parfois frôler l’eau, juste assez près pour que le monde d’en bas se souvienne qu’il existait un ailleurs.
Leur rencontre n’avait rien de naturel. Elle parlait le langage du vent, lui celui des racines. Pourtant, quelque chose se noua entre eux, une tendresse fragile née d’un regard échangé au crépuscule. L’hirondelle racontait les villes lointaines, les saisons traversées, les ciels ouverts sans limites. Le crapaud, lui, parlait de la patience de la terre, de la douceur cachée sous la vase, de la fidélité du marécage qui ne trahissait jamais ceux qui l’acceptaient.
Avec le temps, l’amour prit une forme inquiète. Le crapaud aimait l’hirondelle d’un amour lourd, presque douloureux, car il savait qu’elle ne lui appartenait pas. Un soir, alors que la pluie avait transformé le ciel en miroir trouble, il osa lui dire :
« Viens vivre ici, avec moi. Le marécage n’est pas beau, mais il est sûr. Tu n’auras plus à fuir les tempêtes. »
L’hirondelle hésita. Elle aimait le crapaud, sa voix calme, sa présence constante. Par amour, elle accepta de rester plus longtemps qu’elle ne l’aurait dû. Elle vola plus bas, plus près de l’eau. Peu à peu, la boue éclaboussa ses ailes. Le ciel, qu’elle portait autrefois en elle, devint plus lourd. Ses plumes perdirent leur éclat, et son vol, autrefois libre, devint incertain.
Le crapaud la regardait changer, le cœur serré. Il vit ses ailes se salir, ses silences s’allonger. Ce qu’il avait aimé chez elle — cette légèreté, cette lumière — semblait se dissoudre dans le marécage qu’il croyait protecteur. Alors, un matin sans brume, il prit une décision cruelle et définitive.
« Je ne te reconnais plus », lui dit-il sans lever les yeux. « Tu n’es pas faite pour cet endroit. Et moi, je ne sais aimer que ce qui me ressemble. »
L’hirondelle ne répondit rien. Elle déploya ses ailes alourdies et s’éleva difficilement. Le ciel l’accueillit à nouveau, sans joie, mais avec nécessité. Elle partit, emportant avec elle l’amour qu’elle avait sacrifié, et la leçon silencieuse qu’on ne peut pas rester intact là où l’on n’est pas destiné à vivre.
Le crapaud resta seul dans le marécage. Les nuits lui parurent plus froides, les silences plus profonds. Il comprit trop tard qu’en voulant retenir l’hirondelle près de lui, il l’avait abîmée, et qu’en la quittant lorsqu’elle n’était plus ce qu’elle était, il avait perdu ce qu’il aimait vraiment.
Depuis ce jour, on dit que lorsque les hirondelles survolent les marécages sans s’y poser, c’est par fidélité à celles qui ont appris, au prix de l’amour, que certains liens sont impossibles sans renoncement à soi.





