Dans les profondeurs luxuriantes de la jungle d’émeraude vivait une vipère magnifique nommée Azina, au corps zébré de pourpre et de cuivre, aussi redoutable que gracieuse. Elle vivait seule, repliée dans les racines d’un figuier ancestral, sculptant sa solitude comme on cisèle un bijou. Azina ne faisait confiance à personne, car elle savait combien l’amour, chez les serpents, pouvait n’être qu’un masque.Un jour, apparut Kaël, un python royal, majestueux et imposant, dont la peau portait les reflets dorés du soleil. Contrairement à Azina, il était doux, charmeur, romanesque. Il n’avait pas de venin, mais des mots tendres, et une manière de parler du monde qui faisait croire aux constellations, même dans les ténèbres du sous-bois.Kaël séduisit Azina par sa patience. Il venait chaque crépuscule l’écouter, l’observer, lui offrir des présents : un oiseau endormi, une mue brillante, un secret murmuré. Lentement, Azina se laissa apprivoiser. Elle crut, pour la première fois, que peut-être, on pouvait aimer sans craindre.Ils vécurent un temps de fusion intense. Ils se glissaient entre les branches enlacés, se réchauffaient au même rayon de lune, se promettaient des terres nouvelles. Mais si Kaël rêvait d’un ailleurs paisible, Azina, elle, rêvait de puissance. Elle voulait régner sur la canopée, soumettre les autres serpents, imposer son nom.Très vite, les différences devinrent des fractures. Kaël refusait la violence, Azina méprisait la douceur. Il parlait d’harmonie, elle parlait de conquête. Ils s’aimaient encore, mais ne se comprenaient plus. Et l’amour, aussi fort soit-il, ne suffit jamais à faire taire deux ambitions contraires.Un jour, Azina prit part à une guerre contre une colonie de cobras. Elle demanda à Kaël de combattre à ses côtés. Il refusa. Il voulait la paix. Elle le traita de lâche, de rêveur inutile. Il l’accusa de cruauté, d’orgueil.Blessée dans sa fierté, Azina s’en alla seule. Elle revint couverte de plaies, le corps en feu, le cœur en cendres. Kaël l’attendait encore, mais il ne tendit plus sa queue vers elle. Il la regarda s’approcher, lente et abîmée.— « Tu m’as laissé seule », dit-elle.— « Tu t’es choisie seule », répondit-il.Ce furent les dernières paroles échangées.Azina s’enfonça dans les marécages du nord, Kaël disparut dans les collines dorées. Ils ne s’oublièrent jamais, mais ne se retrouvèrent plus.On dit que parfois, au clair de lune, leurs ombres se croisent dans les feuilles, comme un souvenir. Mais l’amour, sans intentions partagées ni effort d’unité, reste un mirage dans le désert des écailles.