Peut-on vraiment parler d’égalité des chances à l’école sans interroger la manière dont elle accueille les enfants « différents » ? Depuis des années, deux concepts s’affrontent dans les discours éducatifs : l’intégration, qui vise à insérer les élèves en situation de handicap dans le cadre scolaire existant, et l’inclusion, qui propose au contraire de transformer l’école pour qu’elle s’adapte à tous. L’un suggère que l’enfant doit trouver sa place, l’autre affirme que c’est à l’institution de créer l’espace qui lui convient. Mais laquelle de ces approches répond le mieux aux défis réels ? Et surtout, jusqu’où peut-on aller pour concilier ambition éducative et contraintes matérielles ?

Par : Hanaa Khachaba
Une école qui accueille les enfants en situation de handicap sans pour autant transformer ses méthodes sera-t-elle réellement en mesure d’accomplir sa mission envers ses apprenants ? Ou faut-il repenser de fond en comble le modèle éducatif pour garantir que chaque élève, quelles que soient ses capacités, trouve naturellement sa place ? La question n’est pas théorique : elle traverse aujourd’hui le système éducatif égyptien, alors que le gouvernement multiplie les annonces en faveur de « l’école pour tous ».

Pendant longtemps, l’Egypte a opté pour la logique de l’intégration. Les enfants porteurs de handicaps étaient inscrits dans des classes ordinaires, parfois accompagnés d’un enseignant de soutien. Pour le Dr Amr Nabil, psychologue scolaire, « l’intégration a permis de briser un mur symbolique : celui de l’exclusion totale. Mais elle a souvent placé l’enfant dans une situation d’adaptation forcée, avec le risque d’échec ou d’isolement ».
Aujourd’hui, le discours officiel met davantage en avant l’inclusion. Ce modèle suppose que ce n’est pas l’élève qui doit s’adapter à l’école, mais c’est plutôt l’école qui doit se transformer pour répondre à la diversité de ses élèves. La pédagogue Dr Mariam Hassan explique :«L’inclusion ne consiste pas à créer un espace pour l’enfant en marge de la classe, mais à redéfinir le système lui-même. Cela implique de revoir les programmes, la formation des enseignants, l’aménagement des bâtiments et la culture scolaire dans son ensemble. »
Or, le passage de l’intégration à l’inclusion se heurte à la conjoncture égyptienne. Le manque d’enseignants spécialisés, de classes adaptées et de budgets demeure criant. Selon des estimations avancées par des experts locaux, près de 70 % des écoles publiques ne disposent d’aucune ressource spécifique pour les élèves à besoins particuliers. « On ne peut pas demander à une école surpeuplée d’un gouvernorat de la Haute-Egypte par exemple, avec 60 élèves par classe, d’adopter du jour au lendemain un modèle inclusif », affirme le sociologue de l’éducation Dr Hany Abdel-Rahman.

La question devient donc : faut-il renforcer l’intégration, considérée comme une étape pragmatique, ou viser directement l’inclusion, au risque de multiplier les défaillances dans l’application ? Les défenseurs de l’intégration progressive estiment que l’inclusion est une « utopie coûteuse » dans un pays où les défis de l’éducation de base restent immenses. Ceux qui plaident pour l’inclusion immédiate rappellent que « retarder l’égalité, c’est prolonger l’injustice ».
Au fond, le débat entre intégration et inclusion dépasse la pédagogie : il touche à la vision même de la société égyptienne. S’agit-il d’accepter les différences comme une contrainte à gérer, ou de les reconnaître comme une richesse à valoriser ? C’est à cette croisée des chemins que se trouve aujourd’hui l’école.
Malgré les progrès significatifs accomplis au cours de la dernière décennie, des millions de personnes sont toujours privées de leur droit à l’éducation et les possibilités d’apprentissage continuent d’être inégalement réparties, note l’UNESCO.

A l’échelle mondiale, un enfant, adolescent et jeune sur cinq est totalement exclus de l’éducation. La pauvreté, le lieu, le genre, la langue, le handicap, entre autres, sont parmi les facteurs qui continuent de dicter et de limiter les opportunités.
Au lieu de tenter d’éliminer les obstacles un par un, l’UNESCO concentre son action sur l’inclusion au sein du système éducatif tout entier ; l’accent est donc mis sur la transformation des systèmes existants plutôt que sur la façon dont on peut intégrer certains apprenants.