Comprendre les gens, c’est tout un art. Comprendre les lunatiques, les distraits, les rusés — et même les franchement insupportables — relève parfois de la science-fiction. Il faut une bonne dose d’intelligence émotionnelle, un soupçon d’humour, et, si vous avez la chance d’être en Égypte, un solide bagage en dialecte égyptien ! Car ici, les mots ont une âme, un clin d’œil, parfois même un double fond.
Prenons quelques perles de ce trésor linguistique :
– “Da mesafer” (il est en voyage) Littéralement, on pourrait croire qu’il s’agit d’un globe-trotter en route vers Alexandrie ou Assouan. Détrompez-vous : dans le dialecte égyptien, ce n’est pas la personne qui voyage, mais son esprit ! Dire de quelqu’un « da mesafer », c’est constater qu’il a quitté le monde présent — direction ses pensées. En somme, il est bien là… mais pas tout à fait.
– “Ana harshak” (je te gratte ? Non, je te comprends !) Le mot « harsh » signifie “se gratter”. Logiquement, on pourrait penser que « ana harshak » veut dire “je te démange”. En réalité, c’est une façon très locale et un brin piquante de dire “je te comprends”. Et attention : tout dépend du ton. Cette phrase peut être une marque de connivence affectueuse… ou le signal qu’il vaut mieux filer avant que la plaisanterie ne tourne au vinaigre.
– “Etléhi” (va t’amuser… ailleurs) Ce mot, devenu une façon familière — voire musclée — de dire “tais-toi” ou “dégage”, trouve pourtant son origine dans le mot arabe « lahwe », qui signifie “divertissement” ou “désinvolture”. Autrement dit, les Égyptiens ont réussi l’exploit linguistique de transformer “amusement” en une manière de faire taire quelqu’un. Un génie de la dérision, typiquement égyptien !
Les proverbes : Sagesse, ironie et un brin de nostalgie
– “Del ragel wal del hita” « L’ombre d’un homme vaut mieux que l’ombre d’un mur. » Ce proverbe ancien reflète une époque où le mariage représentait le refuge ultime pour les femmes. Un homme valait mieux que le silence des murs — du moins, c’est ce qu’on croyait. Aujourd’hui, beaucoup de femmes égyptiennes redessinent ce vieux schéma, préférant la lumière de leur indépendance à l’ombre d’un compagnon par défaut.
– “Khatabouha etazzet wi tarakouha etnadmet” « Quand elle se fiançait, elle prenait de la valeur ; quand il la quittait, elle regrettait. » Autrefois, cette maxime sonnait comme une vérité universelle. Aujourd’hui, elle fait sourire plus qu’elle n’enseigne : les jeunes femmes n’attendent plus qu’un fiancé leur donne de la valeur — elles la portent en elles, avec fierté et liberté.
– “El-hob bahdala” « L’amour, c’est de la galère. » Ici, on ne tourne pas autour du pot : el-hob bahdala. L’amour, c’est la tendresse, mais aussi les nuits blanches, les jalousies absurdes et les cœurs cabossés. L’amoureux égyptien, qu’il soit poète ou chauffeur de taxi, le sait : aimer, c’est souffrir… mais c’est aussi vivre pleinement.
Alors oui, comprendre les gens est un art. Mais comprendre les Égyptiens à travers leurs mots, c’est un voyage — drôle, touchant, parfois déroutant, toujours passionnant. Et si vous ne les comprenez pas toujours… pas de panique. Comme on dit au Caire, « ana harshak ! »