La famille, on en a qu’une. Elle est parfois envahissante ou carrément absente, mais c’est un peu elle qui fait ce que nous sommes. La preuve par 6 romans venus des quatre coins du monde. Comment le clan familial se raconte-t-il en Corée du Sud, en Espagne ou aux États-Unis ? Réponse ci-dessous.
Par: Marwa Mourad
Une mère, d’Alejandro Palomas

Le soir de la Saint Sylvestre à Barcelone. Amalia a réuni autour d’elle ses trois enfants, Silvia, l’aînée, Emma et sa compagne collet monté Olga, et son fils, Fernando. Il y a également l’oncle, Eduardo, figure paternelle mais peu présente de ce trio. Ce dîner, Amalia l’attend comme les autres le redoutent. Car comme dans de nombreuses familles, les rires et la légèreté cachent secrets et ressentiments. Mais attention, si Une mère est parfois un roman grave, c’est avant tout une véritable comédie qui fait écho à notre propre vécu. Amalia, la maman lunaire mais attachante, Silvia, l’aînée qui a très tôt dû prendre les rênes de la famille, Emma et sa douleur latente, et puis bien sûr, Fernando, qui raconte cette histoire et cache lui aussi quelques petites blessures. La nuit du jour de l’an est longue, alors Alejandro Palomas nous balade dans le passé, nous permettant ainsi de mieux comprendre l’origine de ce dysfonctionnement familial. Épicentre de ce joli roman épicé, la figure de la mère change au fil des pages. D’abord presque infantilisée par son entourage, l’excentrique Amalia se transforme peu à peu pour se muer en lionne lorsqu’il faut protéger ses petits. Un portrait familial fantaisiste et plus profond qu’il n’y paraît.
Novembre, de Josephine Johnson

Auréolé du prix Pulitzer en 1935, ce superbe roman sur la Grande Dépression s’offre une toute nouvelle publication. La narratrice, Margot, a dû quitter la ville avec sa famille pour s’installer à la campagne. Ruiné, le patriarche s’investit comme jamais dans sa femme pour qu’elle devienne rentable. Mais très vite, une sécheresse sévère s’abat sur la région. Rattrapée continuellement par les impôts et les loyers, la famille se met à vivre sur le fil. Novembre est donc un roman grave avec des allures de pastorale qui fait bien sûr écho aux Raisins de la colère de John Steinbeck. Mais c’est aussi un roman d’apprentissage qui suit le passage presque forcé à l’âge adulte de Margot, et de ses deux sœurs atypiques, Kerrin et Merle. Avec son style un brin désuet, Novembre peut laisser perplexe de prime abord. Mais peu à peu, l’histoire se fait plus fluide et plus captivante. L’histoire d’une famille que la misère et la tragédie guettent et qui reste furieusement d’actualité, plus de 80 ans plus tard.
Nos années sauvages, de Karen Joy Fowler

Quand elle était petite, Rosemary avait la langue bien pendue. A tel point que ses parents lui demandaient de commencer ses histoires au milieu. Lorsqu’elle commence à nous raconter la sienne, elle l’entame donc à la moitié. Rosemary avait une sœur, Fern, qui a disparu quand elles étaient enfants. Quelques années plus tard, c’est son frère aîné, Lowell, qui a déserté le domicile familial sans se retourner. Comment et pourquoi une famille bien sous tous rapports a-t-elle fini par imploser de la sorte ? Surtout, qu’est-il arrivé à Fern ? Devenue une étudiante discrète et presque associable, Rosemary remet tout en question lorsqu’elle entre au contact d’Harlow, une jeune femme excentrique qui lui rappelle sa sœur. Roman déroutant dont l’intrigue prend des allures de puzzle, Nos années sauvages est à la fois un drame familial et un manifeste pour la nature. Les rapports et les rivalités fraternels, la question de la différence, la recherche de repères, et les limites de la psychologie et de la science sont les thèmes phares de cet ouvrage très original.
Les âmes des enfants endormis, de Mia Yun

Un livre plein de poésie dans lequel les tigres fument la pipe et les papillons protègent les âmes des enfants plongés dans le sommeil. Premier roman de l’auteure sud-coréenne Mia Yun (publié initialement en anglais en 1998), Les âmes des enfants endormis est une œuvre personnelle et intimiste. L’histoire de Kyung-A, une fillette élevée avec son frère et sa sœur par une mère discrète mais prête à tout pour protéger ses enfants. Nous sommes dans les années 60, la Corée est encore traumatisée par l’occupation japonaise et les soulèvements populaires, mais Kyung-A grandit bercée par les contes et les légendes racontées par sa grand-mère et la voisine de la famille, surnommée la femme citrouille. Mais avec les années, le regard de l’enfant se fait moins naïf. Kyung-A comprend que son père, homme flamboyant est finalement peu fiable. Elle entrevoit aussi les sacrifices de sa mère, sa force et sa sensibilité. Avec son premier roman, Mia Yun n’emprunte pas seulement à son parcours personnel, elle donne la voix aux femmes coréennes, raconte l’histoire torturée de son pays. Très poétique, imagé et plein de jolies métaphores, Les âmes des enfants endormis démontre que les bonheurs simples sont capables de réenchanter un quotidien loin d’être rose.