Le Mouled dans l’imaginaire des plasticiens égyptiens
Le Mouled n’est pas seulement célébré dans les ruelles d’Égypte : il l’est aussi sur les toiles et dans les sculptures, dans l’imaginaire des artistes. Entre sucre et mémoire, entre sacré et joie enfantine, il continue d’inspirer une Égypte qui, depuis toujours, sait transformer la fête en art et l’art en fête.

Le Mouled al-Nabawi n’est pas qu’une fête religieuse : en Égypte, il a pris au fil des siècles l’allure d’un carnaval populaire, empreint de couleurs, de musiques et de symboles. Des défilés de tambours et de bannières dans les villages, aux guirlandes scintillantes dans les ruelles, en passant par les tentes des chants mystiques et les cercles de dhikr, jusqu’aux fameuses figurines en sucre – la poupée et le cheval du Mouled – tout un patrimoine immatériel s’est transmis, déposant sur l’âme collective une empreinte de joie enfantine.
Cette mémoire festive, héritée parfois de l’Égypte pharaonique et revisitée à travers la période fatimide, a inspiré depuis plus d’un siècle des générations de plasticiens. Ils y ont vu bien plus qu’un folklore : une matière poétique, un réservoir de symboles et une fenêtre ouverte sur l’âme populaire.
La poupée du Mouled


Petite figurine en sucre blanc, vêtue de papiers colorés et dorés, la « poupée du Mouled » a longtemps enchanté les petites filles. Elle incarnait la beauté, la promesse de fête, l’offrande tendre d’un père à sa fille. Ses parures rappellent à la fois les ailes protectrices d’Isis, la pureté de la Vierge et l’éclat des héroïnes des contes orientaux. Objet naïf, mais d’une symétrie et d’une simplicité frappantes, elle s’est imposée comme un véritable motif artistique, repris par des dizaines de peintres et de sculpteurs.
De Mamdouh Ammar à Gamal El-Séguini

En exil en Europe, le peintre Mamdouh Ammar retrouva dans la poupée une image obsédante de sa patrie. Dans les années 1960, il la peignit sous toutes les formes : en solitaire, en groupe, auréolée de lumière ou d’ombres opaques. Chez lui, la figurine sucrée se métamorphosa en archétype féminin, bras ouverts sur le monde, incarnation d’un amour universel.
Le sculpteur et peintre Gamal El-Séguini, lui, fit de la poupée une métaphore de l’Égypte elle-même : femme de sucre fragile mais souveraine, joyeuse ou endeuillée selon les vicissitudes de l’Histoire. Ses poupées pleuraient après la défaite de 1967, mais renaissaient debout, fières et lumineuses, tel le pays qui refuse de plier.
Quant à Helmi El-Touni, il inscrivit la poupée dans un imaginaire populaire foisonnant, peuplé de créatures ailées et de symboles lunaires, reliant la tradition à l’univers des Mille et Une Nuits.
D’autres artistes comme Mohamed El-Tahan, Adel Hosni ou Saad Zaghloul ont également exploré ce motif, l’inscrivant dans leurs recherches autour du patrimoine. Même les générations récentes, comme Fatma Hassan en 2020, continuent d’y puiser une source inépuisable d’évocation féminine et d’innocence festive.
Face à la poupée se tient son pendant masculin : le cheval du Mouled, monture sucrée coiffée de fanions, chevauchée par un cavalier brandissant son épée. Symbole de courage et de force, il convoque aussi bien Abou Zaid et Antar que Horus ou saint Georges terrassant le dragon. Autant de strates mythiques qui confèrent à cette friandise enfantine une profondeur millénaire.
« El-Leila El-Kebira » sur la toile

Le Mouled lui-même, avec ses foules, ses lumières et ses tentes, a fasciné les peintres. Ragheb Ayad, Omar El-Nagdi, Farhat Zaki, Taha El-Qarni ou encore Mohamed El-Tahan l’ont représenté, chacun à sa manière. Ibrahim El-Bereidi lui a récemment consacré cinquante toiles saturées de couleurs populaires. Et comment ne pas évoquer les célèbres marionnettes de l’opérette Al-Leila El-Kebira, signées par Nagy Shaker, qui ont immortalisé dans l’imaginaire collectif cette fête où se confondent ferveur religieuse et jubilation populaire.





