Le proverbe dit « Gentil n’a qu’un œil ». Cette expression signifie que les personnes qui sont trop gentilles ne sont pas capables de voir les défauts des autres. Elles ne voient que leurs qualités. Ne voyant qu’à moitié, on ne leur attribue qu’un œil. On a longtemps conclu que la gentillesse ne valait pas une messe et qu’elle était plutôt du côté de la faiblesse morale que de la force. Gentillesse signifie, pour pas mal de personnes, crédulité, naïveté, mièvrerie, vertu enfantine ou féminine, mais en tout cas, certainement pas vertu cardinale. Débat.
Par : Hanaa Khachaba
Avec la tendresse et l’honnêteté, la gentillesse est l’une des qualités prônées à l’échelle mondiale. Elle a même sa journée mondiale : tous les 3 novembre, chacun peut ainsi se mobiliser 24 heures pour lutter contre l’individualisme et le narcissisme omniprésents dans nos sociétés contemporaines. Mais certains ne limitent pas leur dévouement à cette seule date. Attentionnés, bienveillants, serviables, ils le sont toute l’année. Leur crédo ? Faire plaisir. Cependant, force est de reconnaître que cette qualité n’a plus la cote à l’ère du chacun pour soi.

La frontière entre gentillesse et opportunisme est mince de nos jours. La gentillesse, c’est suspect. On se dit que ça ne peut pas être gratuit, ça n’existe presque plus les gens bienveillants. Il faut montrer que tu as tort, que tu es un winner, que tu n’as besoin de personne. Il faut faire semblant d’être inébranlable tant on est terrifié par l’éventualité d’être abusé. Alors on refoule la gentillesse. Tout ça finit par dégoûter les gens d’être gentils et c’est comme ça que l’on crée un monde de gros méchants !
On remarque généralement que quand on est gentil, on cherche à en profiter (comme on dit « je donne la main, on me bouffe le bras »), ou alors on nous regarde avec inquiétude comme si l’on allait leur demander leur âme en échange alors que si on le propose, ce n’est pas contre un échange possible. Du coup, on ne s’arrête pas d’être gentil, mais on teste un peu les gens pour voir s’ils chercheront à en profiter ou s’en inquiéter.
Trop de gentillesse, on en abuse
La gentillesse, souvent perçue comme une vertu, peut parfois se retourner contre ceux qui la pratiquent. En effet, certaines personnes se plient en quatre pour les autres par souci de plaire, avec le risque de se rendre malheureux voire de sombrer dans l’amertume. Dans un monde où l’individualisme et l’opportunisme dominent, la gentillesse peut se transformer en une pathologie, un état émotionnel où l’individu se sent obligé de plaire aux autres, souvent au détriment de son propre bien-être. Cette dynamique peut créer un environnement propice à l’abus et à l’exploitation.
Prenons l’exemple d’une personne, appelons-la Claire. Claire est intrinsèquement gentille, toujours prête à aider ses amies, à prêter une oreille attentive aux problèmes des autres, et à se sacrifier pour le bien-être des personnes qui l’entourent. Pourtant, cette gentillesse excessive peut devenir problématique. Claire ressent une pression interne à être toujours disponible et à répondre positivement aux demandes des autres, même lorsque cela nuit à sa santé mentale ou à ses propres besoins. Elle se retrouve souvent épuisée, mais persiste à donner, convaincue que sa valeur dépend de sa capacité à rendre service.

Dans ce contexte, la gentillesse de Claire attire souvent des opportunistes, des personnes qui voient en elle une source inépuisable de soutien sans jamais contribuer en retour. Ces individus peuvent abuser de sa bienveillance, la manipulant subtilement pour obtenir ce qu’ils veulent, tout en lui faisant croire qu’elle agit par choix. Claire devient alors la proie d’une dynamique déséquilibrée où sa gentillesse est exploitée. Les autres, conscients de sa nature serviable, en viennent à lui demander des faveurs de plus en plus exigeantes, considérant comme acquis qu’elle répondra toujours présente.
Gentillesse exacerbée devient pathologie
Ce phénomène est exacerbé par la méfiance ambiante. Dans une société où la suspicion règne, la gentillesse est souvent interprétée comme une faiblesse. Les gens, craignant d’être manipulés, choisissent souvent de se retirer dans un enfermement émotionnel. Cela entraîne une spirale négative où la gentillesse est refoulée, ce qui contribue à créer un climat de cynisme où les interactions humaines sont teintées de méfiance. Les personnes bienveillantes, comme Claire, finissent par se sentir isolées et dévalorisées, tandis que les opportunistes prospèrent. Cette situation illustre comment une vertu, lorsqu’elle est poussée à l’extrême, peut devenir pathologique.
La gentillesse, au lieu d’être un acte libre et désintéressé, devient un devoir, une obligation qui peut mener à l’épuisement, à la dépression, et à un sentiment d’inutilité. En outre, la peur d’être abusé peut entraîner une forme d’autoprotection ; les individus, au lieu d’offrir leur aide, se retranchent derrière des murs émotionnels, renforçant ainsi la solitude et l’isolement.
Comment s’en sortir ?
Pour briser ce cycle, il est essentiel de réévaluer notre perception de la gentillesse. Plutôt que de la considérer comme un signe de faiblesse, nous devrions promouvoir un modèle de bienveillance équilibré, où aider les autres ne se fait pas au détriment de soi-même. Cela nécessite une éducation émotionnelle qui valorise l’empathie tout en enseignant l’importance de poser des limites saines. En encourageant les interactions authentiques, basées sur la réciprocité et le respect mutuel, nous pouvons espérer créer un monde où la gentillesse n’est pas seulement un acte isolé, mais une valeur partagée qui enrichit les relations humaines.

Racines de la gentillesse pathologique
La gentillesse pathologique peut avoir plusieurs origines. Dans certains cas, elle est le résultat d’une éducation à travers laquelle on enseigne aux enfants que leur valeur dépend de leur capacité à plaire aux autres. Ces enfants apprennent à ignorer leurs propres besoins émotionnels au profit de ceux des autres, ce qui peut les conduire à développer une dépendance à l’approbation externe. D’autres fois, cela peut être le reflet d’une insécurité personnelle ; la gentillesse devient alors un mécanisme de défense, un moyen de gagner l’affection et l’acceptation des autres.
Manifestations de la gentillesse pathologique
Les personnes qui incarnent cette forme de gentillesse peuvent dire « oui » à toutes les demandes, même lorsque cela les met en difficulté ou les empêche de s’occuper de leurs besoins. Elles mettent souvent de côté leurs propres intérêts, loisirs et besoins pour se consacrer aux autres, ce qui peut mener à l’auto-négligence. Leur bonheur est souvent conditionné par la reconnaissance et l’approbation des autres, les rendant vulnérables à la manipulation.
Conséquences psychologiques
Cette gentillesse excessive peut avoir des effets dévastateurs sur la santé mentale. Les personnes qui se consacrent entièrement aux autres peuvent ressentir un vide intérieur, une perte d’identité et une déception face à l’ingratitude ou à l’exploitation. L’effort constant pour plaire aux autres peut mener à un burn-out émotionnel, où l’individu se sent épuisé et dévalorisé. Après avoir donné sans compter, ces personnes peuvent commencer à ressentir de l’amertume, se demandant pourquoi leur gentillesse n’est pas réciproque. Ce ressentiment peut s’accumuler au fil du temps, créant des tensions dans les relations.