Par: Walaa El-Assrah
Le récent succès japonais sur la Lune a clôturé une première séquence de missions aux sorts variés. Mais le vrai match, qui va se jouer entre les Etats-Unis et la Chine, est encore à venir.
La Lune, c’est bien connu, a des cycles. La conquête, ou plutôt la reconquête, de notre satellite naturel par les grandes puissances spatiales de ce premier quart du XXIe siècle en connaît aussi. A cet égard, les quelque six derniers mois ont été bien chargés, en succès comme en échecs. Petit rappel des épisodes précédents, selon Les Echos.
Le 20 août dernier, la sonde russe Luna-25 se crashait assez lamentablement sur le régolithe lunaire, signant l’échec de la Russie de Vladimir Poutine – qui ne peut pas être sur tous les fronts à la fois – dans sa tentative de renouer avec les grandes heures spatiales de l’Union Soviétique et de son programme Luna (dont la précédente mission de retour d’échantillons, Luna-24, remontait tout de même à 1976).
États-Unis, Europe, Chine, Russie, fusées monstrueuses, la Lune. Ajoutez-y un soupçon de tensions géopolitiques et nous obtenons un cocktail parfait pour une nouvelle course spatiale. A-t-on raison de croire ceci ? Et si oui, qui pourrait être le gagnant ?
1975, nous sommes le 17 juillet quand l’histoire s’écrit à plus de 200 kilomètres au-dessus du plancher des vaches. Un vaisseau soviétique Soyouz s’amarre avec un vaisseau américain Apollo. Après déjà plus de 20 ans de guerre froide et de course acharnée à l’espace, Thomas Stafford et Alexei Leonov échangent une poignée de main à travers l’écoutille qui relie les deux vaisseaux. Nous sommes alors six ans après le succès d’Apollo 11, la victoire décisive des Américains sur les Soviétiques, analyse Futura.
Deux jours durant lesquels un équipage international voyageait pour la première fois ensemble, dans l’espace. Cette coopération si symbolique reviendra durant l’époque de la station soviétique Mir, puis sur l’ISS encore aujourd’hui, sans arrêt depuis le 2 novembre 2000. Le temps où l’espace était un terrain de jeu dédié à l’espionnage, à la propagande et aux tensions géopolitiques est désormais bien loin derrière nous. Vraiment ?
Une nouvelle course à l’espace ?
Lorsque l’on entend parler d’une nouvelle course à l’espace, ou d’une course à la Lune ou vers Mars, la réponse est habituellement non. Peu importent les différends entre les pays au sol, l’humanité a appris qu’on avance plus vite et plus loin ensemble, en tout cas au-delà de notre atmosphère. L’exploration spatiale nécessite aujourd’hui une vaste mise en commun des connaissances. Aucune puissance spatiale n’a la volonté, ni la capacité économique, ni le savoir-faire pour réaliser et opérer d’ambitieuses missions scientifiques en totale autonomie telles qu’a pu être le programme Apollo, surtout avec la complexité, la modernité et la fiabilité qui sont de mise actuellement.
Sans aucun doute, la Station spatiale internationale reste le plus solide symbole de la coopération mondiale. Une petite bulle d’air, respiré indifféremment par les Américains, les Russes, les Japonais, les Français, les Allemands, les Italiens, etc., sauf les Chinois.
Un problème chinois ?
Aïe, une première écharde dans la belle utopie que nous commencions à imaginer. Il y a actuellement deux stations spatiales qui tournent autour de notre Planète, l’ISS (International Space Station) et la CSS (Chinese Space Station). Une volonté chinoise de briller par son autonomie ?
Pas vraiment, la Chine est au contraire très friande de collaborations internationales, et ce n’est pas nouveau : le rover Zhurong sur Mars est équipé de technologies françaises, leur savoir-faire astronautique est issu du savoir-faire russo-soviétique, les partenariats s’accélèrent à l’image de l’importante mission SVOM d’astronomie multi-messager franco-chinoise, et déjà 16 pays participent aux recherches scientifiques à bord de la Station spatiale chinoise. De plus, il n’est pas exclu d’avoir des astronautes européens à bord de cette station dans un futur proche, sachant que des entraînements d’astronautes conjoints entre l’ESA et la Chine ont déjà eu lieu.
Alors pourquoi pas d’astronautes chinois sur l’ISS ? La raison se trouve du côté de Washington. Depuis plusieurs années, la Chine n’occupe pas une grande place dans le cœur des Américains. Ceci s’est traduit par des conséquences dans de nombreux domaines, comme l’affaire entre Google et Huawei, mais aussi sur le plan scientifique. Rappelons qu’en sciences il n’existe pas de frontières, en théorie du moins. Les résultats scientifiques sont publiés dans des revues, qui sont accessibles partout dans le monde, mais ce n’est pas le cas des données qui ont servi à produire ces résultats. Ainsi, il est spécifié dans l’appel d’offres de 2013 pour les instruments du rover Perseverance que les données ne pourront être partagées avec la Chine. Plus récemment, ce sont des scientifiques américains exprimant le souhait d’analyser les échantillons lunaires de Chang’e 5 qui se sont heurtés à la politique de leur pays.
Et bien sûr pour les mêmes raisons gouvernementales et notamment du fait de l’amendement Wolf de 2011, l’une des conséquences est que les astronautes chinois ne sont pas autorisés sur l’ISS. Alors assiste-t-on à un clivage bilatéral entre la Chine et le reste du monde constitué des pays prenant part à une sorte « d’alliance ISS » ? Non plus.
Aimez-vous les uns les autres !
Ce serait bel et bien une erreur de croire qu’il existe la Chine et le reste du monde. Ce serait négliger la cohabitation entre les États-Unis et la Russie. Une cohabitation de deux éternels rivaux qui semble aujourd’hui paisible, ou du moins solide. L’ISS joue pour cela un rôle de sceau, qui rappelle même dans les moments de fortes tensions qu’il faut collaborer, qui incite les pays à faire cet effort supplémentaire, comme un vieux couple en perte de vitesse.
Et pourtant, l’actualité a soif de ces tensions, comme lors des accusations de sabotage sur les vaisseaux desservant la station ou sur la station elle-même. Encore très récemment nous étions inondés de l’affaire du test de missile anti-satellite russe qui a provoqué un nuage de débris, mettant en danger l’ISS. Là non plus, la faute n’est pas entièrement russe, l’Inde a réalisé un test similaire il y a quelques mois, la Chine il y a quelques années, et les États-Unis (pionniers en la matière avec les premiers tests en 1985) en préparaient de nouveaux sous l’administration Trump, aucun de ces pays n’a cependant signé de traité international lorsqu’ils en avaient l’occasion.
Les relations entre les États-Unis et la Russie ne sont donc pas forcément si apaisées que cela. Alors pouvons-nous imaginer un rapprochement entre la Russie et la Chine et retrouver un bloc de l’Est ? Après tout ce sont d’anciens alliés et leurs savoir-faire technologiques sont liés comme mentionné plus haut. La réponse n’est pas mieux : pas vraiment.
Récemment la Chine et la Russie ont émis le souhait de réaliser une base habitée sur la Lune, une sorte de concurrent à l’ambition américaine du programme Artemis. Alléchant, mais voilà, rien d’autre n’est fait pour nouer cette relation orientale. On pourrait imaginer de la même manière voir les Russes se retirer de l’ISS pour rejoindre la CSS, mais non : la station chinoise est physiquement inaccessible aux latitudes de l’ex-URSS. Pour avoir un cosmonaute à bord, il faudra nécessairement payer une place sur les fusées chinoises, ou pourquoi pas sur les fusées européennes puisque la question du vol spatial habité européen revient de plus en plus sur le devant de la scène ; la Russie acceptera-t-elle cette dépendance ?
Parlons-en de l’Europe, qui justement a refusé de développer un système de vol habité et a abandonné le projet Hermès, misant sur la collaboration. En effet cela aurait été inutile, les Américains et les Russes disposaient déjà de vaisseaux habités, l’argent et le temps économisé ont permis alors à l’Europe de se développer sur d’autres aspects, comme d’ambitieuses missions d’exploration scientifique. Mais quel avenir pour l’entente entre l’Oncle Sam et le vieux continent ? Quel avenir même pour l’entente entre les pays européens eux-mêmes ? L’Agence spatiale européenne (ESA) n’est aucunement basée sur l’Union européenne, cependant une fragilisation de celle-ci pourrait potentiellement avoir un impact sur les collaborations spatiales.
En résumé, l’avenir est relativement incertain, à l’heure où la Station spatiale internationale arrive petit à petit à la fin de sa carrière et où les ambitions sont tournées frontalement vers le retour de l’humain sur la Lune.