Star incontestée des tables estivales, ce fruit sucré que l’on savourait jadis en tranches triangulaires ou rectangulaires, accompagné d’un morceau de fromage blanc, change aujourd’hui de visage. Place au sandwich ! Entre deux rondelles épaisses de pastèque se cache désormais une généreuse couche de fromage. Ce duo typiquement égyptien, roi des après-midis brûlants, s’offre un relooking viral et se fait appeler désormais le watermelon cheesesandwich. La pastèque la plus populaire du pays enflamme les réseaux sociaux sous cette nouvelle édition gourmande…Mais au-delà de la simple tendance culinaire, ce phénomène peut s’analyser à travers le prisme de la consommation ostentatoire.

Par : Hanaa Khachaba
La consommation ostentatoire désigne la pratique consistant à acheter et à afficher des biens ou services de luxe afin de signaler sa richesse, son statut social et son pouvoir aux autres. Introduit par le sociologue ThorsteinVeblen en 1899, ce concept traduit un comportement où l’on dépense davantage que nécessaire, non par besoin réel, mais pour mettre en avant son succès économique et sa position sociale.
Les exemples les plus évidents sont l’acquisition de vêtements de créateurs, de voitures de prestige ou encore la multiplication de séjours haut de gamme dans le but d’impressionner son entourage. Mais cette logique va bien au-delà, infiltrant de nombreux aspects de la vie moderne.

Sur le plan éducatif, par exemple, inscrire ses enfants dans des écoles privées internationales ou des universités étrangères coûteuses, parfois plus pour le prestige du nom que pour la qualité pédagogique réelle. À titre d’exemple, certaines familles en Égypte, au Liban ou dans les pays du Golfe contractent des dettes considérables afin depouvoir afficher que leurs enfants sont scolarisés dans un établissement « britannique » ou « américain ».
Ou encore dans les loisirs et la vie sociale, les mariages fastueux illustrent parfaitement ce phénomène. Le choix de lieux luxueux, de robes de couturiers et de buffets interminables n’est pas seulement un plaisir personnel, mais un message adressé aux invités et, par extension, à toute la communauté via les réseaux sociaux. Les clubs privés ou les salles de sport élitistes jouent le même rôle : on ne s’y rend pas uniquement pour s’entraîner ou se détendre, mais pour montrer qu’on « appartient » à une certaine classe.

Cela va de même également dans l’univers numérique : l’ostentation se déplace désormais en ligne. Publier des photos de voyages aux Maldives, dîners dans des restaurants étoilés ou derniers gadgets technologiques devient une nouvelle monnaie sociale. Le like et le partage remplacent les applaudissements d’antan. Ce phénomène, que certains sociologues appellent « le capital symbolique numérique », accentue la pression à consommer pour exister.
L’immobilier n’échappe pas au phénomène : posséder un appartement dans une résidence sécurisée, un penthouse avec vue panoramique ou une villa dans une station balnéaire n’est pas seulement une question de confort. C’est aussi une vitrine sociale. À Dubaï, au Caire ou à Casablanca, certaines zones résidentielles sont devenues de véritables marqueurs de classe : y habiter revient à se définir socialement.
Dans les voyages aussi, la consommation ostentatoire saute aux yeux ! Partir chaque été au littoral nord (Sahel) en Egypte, à Dubaï ou en Grèce devient une autre manière d’afficher un statut. Ces destinations ne sont pas uniquement choisies pour la détente, mais aussi pour la visibilité qu’elles procurent — en particulier sur Instagram et TikTok.
Cette logique ostentatoire ne concerne pas seulement les élites : elle s’infiltre progressivement dans les classes moyennes, qui adoptent elles aussi des signes de distinction — souvent au prix de sacrifices économiques importants. Elle interroge donc notre rapport au bonheur : est-il dans ce que l’on montre, ou dans ce que l’on vit réellement ?

Face à cette course effrénée, certains choisissent de se tourner vers des valeurs de simplicité et d’authenticité. La convivialité d’un repas familial, la fraîcheur d’une tranche de pastèque avec un morceau de fromage, ou encore le partage sincère d’un moment entre amis rappellent que la valeur d’une expérience ne se mesure pas toujours à son coût ni à sa visibilité en ligne.
La pastèque au fromage, devenue sandwich viral, pourrait ainsi être l’occasion de repenser notre rapport à la consommation : un clin d’œil ironique pour rappeler que parfois, les plaisirs les plus simples restent les plus universels.