Les personnages présentés sur les monuments égyptiens sont toujours de côté. Bien que le fait de représenter des personnes de face était aussi possible sous l’Égypte ancienne, nous ne nous souvenons que de sujets de profil. Explications.
Par : Marwa Mourad
Chacun(e) a en tête les motifs muraux des tombeaux des pharaons, ou sur les jarres de vin ou tout autre objet accompagnant les rois dans leur voyage après la mort. Êtres humains, chats, chevaux, chars, tout le monde de côté, peint sous son meilleur profil.


Rectifions d’abord ce que nos souvenirs nous soufflent : non, les Egyptiens ne dessinaient pas uniquement de profil. Ils savaient aussi dessiner les personnes et les animaux de face et de trois quarts. Seulement, la très grande majorité des objets qui nous sont parvenus grâce aux fouilles des égyptologues sont ornés de hiéroglyphes, autrement dit de l’écriture du temps des pharaons. Une écriture dite picturale, faite de dessins où les sujets d’une scène ou d’un récit sont systématiquement représentés de profil.
Se pose alors un problème car le dessin de profil donne moins de détails qu’une représentation de face. Les Égyptiens ont donc développé des techniques de contournement pour révéler des éléments et remplacer la perspective.
Il n’y a pas de temps, ni d’espace
La perspective se définit par un point de fuite. Il s’agit de montrer la profondeur, que le monde que nous voyons n’est pas plat, qu’il y a plusieurs plans, donc de l’espace et du temps pour évoluer de l’un à l’autre. Par exemple, si on observe le tableau Le radeau de la Méduse : le regard balaye une frêle embarcation (qui, tiens donc, rehaussée de sa voile fait penser à une pyramide) puis les yeux suivent les personnages de l’avant vers l’arrière, suivent un bras levé au-dessus de tous et finissent par tomber sur un bateau au loin, bien loin. L’histoire est racontée : le radeau, les naufragés, l’espoir du bateau. Nous parcourons l’espace et saisissons le temps.
Sur un dessin exécuté de côté, la perspective n’existe pas : les égyptologues parlent alors d’aspective. Les Égyptiens utilisaient cette méthode non par manque de technique, mais bel et bien parce qu’il n’y a ni espace ni temps ici. Avec les hiéroglyphes, “il n’y a pas de temps, il n’y a pas d’espace ; on est partout et tout le temps” nous rappelle Bénédicte Lhoyer. L’Egypte y est éternelle. Elle est définie comme telle sur les objets ornés de hiéroglyphes, perçue comme telle par la personne qui les admire.


Dans ce monde d’aspective, d’histoire immuable, les Égyptiens juxtaposent une autre technique pour transcrire le mouvement et le temps : des éléments y sont peints de face sur les sujets de côté rendant ainsi visible ce qui était invisible. Par exemple, un œil apparaît de face sur un visage de profil, il pourra ensuite être représenté grand ouvert pour signifier que le personnage fait quelque chose. Un torse sera également représenté de face, la poitrine sera quant à elle de côté, quitte à ne pas complètement respecter l’anatomie humaine.
Le scribe s’aide ensuite des membres pour signifier toujours plus de choses : une jambe gauche avancée traduit la fonction et le statut social, montrer les deux jambes serrées pour une dame signifie qu’elle n’a pas besoin de travailler, elle est donc de haut rang. La position des bras, de ce qui peut être tenu dans les mains, a aussi une signification précise.
Un personnage pourra un peu à l’image des cases d’une BD revenir plusieurs fois sur un même mur ou une série de papyrus afin de décrire chaque grand moment du récit de sa vie.
Toujours de profil ?


À vrai dire, les Égyptiens dessinaient de profil en première intention et y ajoutaient ensuite des éléments de face : l’écriture en hiéroglyphes pour retranscrire l’éternité du peuple égyptien, les détails de face pour nourrir le récit et apporter du contexte à la scène représentée.