Par une nuit chaude du Caire, dans l’écrin du théâtre Al-Samer à Agouza, les rideaux se sont levés sur une fresque historique aux accents poignants. C’est dans ce cadre solennel que s’est ouverte la 47e édition du Festival national des troupes régionales de théâtre, placée sous l’égide du ministre de la Culture, Dr Ahmed Fouad Hanno, et orchestrée avec rigueur par l’Organisme général des palais de la culture, présidé par le général Khaled El-Labban.
La soirée inaugurale a été marquée par la représentation de la pièce « Le Chemin », une création de la troupe nationale de Gharbeya, écrite par le Dr Tarek Ammar et mise en scène avec justesse et inspiration par Osama Chafik. Parmi le public, on comptait de nombreuses figures du monde artistique et intellectuel, dont l’écrivain Mohamed Nassef, vice-président de l’organisme, l’artiste Ahmed El-Chafii, ainsi que la directrice générale du théâtre, Samar El-Wazir.
Un voyage dans la mémoire du Nil
La pièce nous transporte dans les ruelles de Tanta, au cœur d’un Egypte agitée, alors que commence le règne du sultan Al-Zâhir Baybars, architecte implacable de l’Empire mamelouk. Ce n’est pourtant pas une simple leçon d’histoire que propose « Le Chemin », mais une immersion humaine et sensible dans les tourments politiques et spirituels d’un temps menacé par la discorde et l’ombre rampante des complots.
Au centre de ce récit haletant, deux figures se font face et s’accompagnent : le sultan Baybars, stratège tiraillé entre pouvoir et justice, et le saint soufi Ahmed El-Badawi, dont l’image est ici revisitée avec une délicatesse rare. Loin du mythe figé, le spectacle dévoile un homme engagé, attentif à la souffrance du peuple, témoin du réel et acteur de la vérité.
Entre conspiration et lumière
La tension dramatique atteint son sommet lorsque le sultan est alerté de rumeurs : les chiites nizârites, partisans d’un retour du califat fatimide, conspireraient contre lui, entraînant dans leur sillage les figures du soufisme, dont El-Badawi. Ce dernier, injustement accusé, devra faire face aux manœuvres perfides d’un certain El-Korani — campé avec intensité par Ahmed Radi — incarnation d’un extrémisme religieux froid et manipulateur.
Mais « Le Chemin » est avant tout une ode à la réconciliation entre le spirituel et le temporel, entre la justice du pouvoir et la voix du peuple. Le sultan, guidé par la lucidité du cœur, réhabilite finalement El-Badawi, peu avant sa propre mort, laissant derrière lui une Egypte pacifiée, debout et digne.
Une mise en scène habitée, un souffle collectif
Sur scène, les performances des comédiens sont habitées d’une ferveur qui touche à l’universel : Marina Amir incarne avec noblesse Tourkan Khatoun, épouse mongole du sultan, et Samaa Massad campe Aïcha, l’épouse égyptienne, stratège et soutien silencieux dans les coulisses du pouvoir. La distribution entière — Ahmed Salem, Mohamed Abdelaziz, Mostafa Fagel, et bien d’autres — compose un tableau vivant et vibrant.
Les chorégraphies de Retaj Ahmed et de son équipe, les costumes d’époque signés Hossam Abdelhamid, les lumières ciselées d’Ahmed Radi et Mina Mansour, les décors évocateurs d’Ahmed El-Bahari et les musiques originales de Hany Ramadan tissent ensemble un univers théâtral profond, esthétique, rigoureux.
Une œuvre qui parle au présent
Dr Tarek Ammar, auteur de la pièce, confie que cette création est une tentative de jeter la lumière sur une période troublée de l’histoire égyptienne, tout en lançant un appel vibrant à l’unité nationale. À travers les figures du passé, c’est l’Egypte d’aujourd’hui que l’on entend : une nation qui se cherche et se construit dans l’épreuve et le dialogue.
La soirée s’est achevée sous les applaudissements nourris d’un public ému et d’une commission de jury prestigieuse, réunissant notamment le scénographe Hazem Shebl, le critique Dr Mohamed Samir El-Khatib, le compositeur Dr Tarek Mehran, et les metteurs en scène Dr Sayed Khater et Ahmed El-Banhawi.
Un début magistral pour un festival populaire et exigeant, qui promet encore de nombreuses révélations sur les scènes du théâtre Al-Samer et du centre culturel de Rod El-Farag, où 26 spectacles sont présentés gratuitement au public jusqu’au 5 juillet.
Un chemin vers la mémoire, l’art et la conscience collective.