Notre monde s’est arrêté cette semaine. La secousse s’est produite lundi tout juste avant midi, le géant Facebook s’est alors écroulé sans avertir, semant du même coup la confusion chez ses milliards d’utilisateurs.
Si la grande majorité d’entre nous se sont contentés d’encaisser le choc en espérant que les désagréments engendrés par la commotion s’abstiennent de marquer une rupture subite dans notre quotidien, d’autres, sans doute un peu plus romantiques, se sont surpris à espérer que cette panne s’éternise.
À une époque, où le terrain de jeu de la séduction et même celui de l’amitié est codé, numérisé et offert derrière un écran, la posture du romantique s’étend au-delà de la figure très chevaleresque d’un Cyrano, courant après l’amour et mobilisant toutes ses humeurs à cette fin. Être romantique en 2021, c’est aussi, tout bêtement, imaginer un monde où nous serions en mesure un peu plus longtemps de nous passer de ce que nous avons consenti à appeler les « réseaux sociaux ».
Demeurer en contact
Tandis que Facebook fait face à de plus en plus de critiques, le boucan des romantiques ne parvient toujours pas à s’imposer devant le silence de ceux qui s’inquiètent très peu de l’ampleur de notre subordination. Le monde a changé, répètent-ils avant d’ajouter que Facebook est très pratique puisqu’il permet de demeurer en contact avec le monde entier, avec des gens éloignés, des gens rencontrés en voyage avec qui on aurait perdu le contact à une autre époque.
On peut remarquer que ce dernier argument est saisissant d’absurdité. C’est qu’on cherche ici à justifier la valeur presque vertueuse des réseaux sociaux en exaltant l’opportunité d’entretenir « virtuellement » des liens avec des individus qui demeurent concrètement absents alors que le temps passé en ligne avec eux implique par conséquent que l’on s’éloigne des gens qui circulent « physiquement » dans notre vie. Les défenseurs des géants du web, qui sont parfois les mêmes à faire profession de foi devant toutes les expressions de la modernité, y compris les plus délirantes, n’ont probablement pas été choqués par le communiqué de Facebook diffusé lundi dernier.
Le géant du web profitait alors de l’occasion pour rappeler, serein, que « les personnes et les entreprises dans le monde dépendent de nous [Facebook] pour rester connectés. » Les groupes qui se mobilisent actuellement pour tenter de faire la démonstration devant les tribunaux que Facebook orchestre et coordonne la dépendance de ses abonnés auront au moins la possibilité de consolider leurs arguments en puisant à même les déclarations officielles du géant du web. Facebook révèle ici sans aucun complexe sa philosophie d’entreprise qui consiste à rendre ses abonnés dépendants, mais aussi à redessiner les contours de ce qui constituent depuis des millénaires les relations humaines. Sans aucune modestie, Facebook place ces relations sous le joug de la « connexion ».
Tirer une leçon
S’il est vrai que le monde change, il pourrait être intéressant, sans adopter pour autant une posture réactionnaire, d’entamer une importante réflexion autour de notre rapport sacré à la « connexion ». Être « connecté », c’était, il n’y a pas si longtemps, une façon de remplacer exceptionnellement sa présence rendue impossible par des circonstances que l’on avait tout de même cherché à déjouer.
Être « connecté » n’a jamais eu pour vocation de remplacer le contact de la chair de même que les odeurs, les péripéties et l’ambiance unique d’une heureuse rencontre. Quand on constate où les promesses de la technologie nous ont pourtant mené, les romantiques en viennent résolument à se demander si une panne, aussi brève soit-elle, ne serait pas plutôt l’occasion de recommencer à vivre.
https://www.journaldemontreal.com/ : Rémi Villemure