Notre monde est de plus en plus dominé par l’anglais. Dans ce contexte mondial trop américanisé, la francophonie peut-elle encore jouer un rôle stratégique en Egypte ? Langue de culture, d’éducation et de diplomatie, le français semble aujourd’hui à un carrefour. Débat.
Par : Hanaa Khachaba
Si l’arabe reste sans nul doute la langue du cœur et l’anglais celle des affaires, le français continue de marquer l’espace culturel et diplomatique du pays. Héritée d’une longue tradition d’échanges avec la France et les institutions francophones, cette langue trouve encore sa place dans de nombreuses écoles, universités et cercles culturels. Mais est-ce suffisant pour qu’elle survive aux nouvelles dynamiques mondiales ?
Loin d’être une langue étrangère comme une autre, le français en Egypte est chargé d’histoire. Il a accompagné l’essor des grandes institutions scientifiques et culturelles du pays, de l’Institut d’Egypte fondé en 1798 aux lycées francophones du Caire et d’Alexandrie.
Pour Dr. Leïla Farouk, linguiste, le français représente bien plus qu’un souvenir. « C’est un pont vers un monde de pensée et d’analyse qui reste précieux. ». Quant à Karim Saïd, enseignant de français dans un lycée francophone, il va plus loin : « Nos coopérations scientifiques avec la France, la Belgique, le Canada ou le Sénégal sont essentielles, notamment dans les domaines de la santé, de l’agriculture et des énergies renouvelables, d’où l’importance de la maîtrise du français. Je vois qu’il est nécessaire d’attacher plus d’attention à l’apprentissage de la langue de Molière, même si la montée de l’anglais ne semble pas freiner. »
Mais du côté des jeunes, l’enthousiasme est plus nuancé. Yasmine Khaled, étudiante en commerce, constate : « Le français m’a ouvert des portes, mais dans le monde du travail, l’anglais reste la priorité. » Ce constat soulève une question centrale : la francophonie doit-elle s’adapter ou se réinventer pour redevenir un atout stratégique ?

Car au-delà de l’éducation, la francophonie est aussi un levier diplomatique. « Dans un monde multipolaire, parler français, c’est parler à l’Afrique, à l’Europe, au Canada », rappelle HaniMoustafa, spécialiste en géopolitique. « C’est aussi affirmer une pluralité culturelle dans la politique étrangère égyptienne », ajoute-t-il. « Le français reste une langue de réflexion, de culture et d’analyse », affirme pour sa part Dr. Leïla Farouk, linguiste et professeure à l’université de Minya.
Si la maîtrise du français demeure un atout pour les carrières dans la diplomatie, l’enseignement ou les ONG internationales, elle se heurte à une réalité : l’anglais domine le marché du travail et les plateformes numériques. « J’adore le français, mais pour trouver un emploi, l’anglais est incontournable », reconnaît Yasmine Khaled, étudiante en école de commerce francophone.Karim Saïd nuance : « Le français reste clé pour de nombreux partenariats universitaires, notamment avec le Canada, la France ou l’Afrique francophone. »

Une francophonie géopolitique ?
Dans un contexte mondial marqué par des recompositions régionales, le français pourrait redevenir un levier stratégique, notamment en Afrique où l’Egypte cherche à renforcer sa présence diplomatique et économique. « Parler français, c’est renforcer nos liens avec une grande partie du continent africain », souligne Dr. HaniMoustafa, chercheur en géopolitique. « C’est aussi diversifier nos partenariats face à une mondialisation de plus en plus polarisée. »
Le saviez-vous ?
• L’Egypte est membre de plein droit de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) depuis 1970.
• On dénombre plus de 60 établissements scolaires francophones dans le pays.
• Plusieurs universités proposent des formations entièrement en français, notamment en droit, sciences politiques, médecine ou ingénierie.
• La télévision et la radio égyptiennes proposentdes émissions francophones.

Quelles perspectives ?
Si les défis sont réels, les potentialités le sont tout autant. Une politique linguistique volontariste, une valorisation culturelle, ainsi qu’un investissement dans l’enseignement supérieur pourraient redonner au français une visibilité renforcée.
« La francophonie ne doit pas être vue comme nostalgique, mais comme un outil moderne de connexion au monde », conclut Mme Sophie Deslauriers, une enseignante de français de nationalité canadienne qui habite au Caire depuis 10 ans.
En conclusion, la francophonie en Egypte est à un tournant. Ni reléguée au passé, ni pleinement intégrée aux dynamiques actuelles, elle attend peut-être un nouveau souffle. Le défi est de taille : faire du français non seulement une langue du patrimoine, mais aussi un outil d’avenir.