Le Grand Musée Égyptien (GME), érigé sur un plateau de Guizeh à deux kilomètres environ du complexe des Pyramides, est l’un des projets muséographiques et de construction les plus ambitieux du début du XXIᵉ siècle. Conçu pour rassembler, conserver et mettre en scène l’un des plus riches patrimoines archéologiques au monde, le GME combine exigences muséales de conservation, audace architecturale et défis logistiques colossaux.
Genèse et calendrier du chantier
L’idée d’un « grand musée » contemporain, dédié à l’Égypte antique, remonte aux années 1990, mais les étapes concrètes se sont accélérées au début des années 2000. Le concours d’architecture remporté par Heneghan Peng date du début des années 2000 et la mise en chantier, selon les différentes phases, s’est étalée sur plus d’une décennie. Les travaux de structure ont été largement achevés au tournant des années 2020 ; la phase finale a surtout porté sur les aménagements muséographiques, la muséotechnie, la logistique de transfert des collections et la mise en place des laboratoires de restauration et conservation.
Tout au long du projet, le calendrier a été révisé à plusieurs reprises. Après plusieurs reports, le musée a entamé des ouvertures de « mise en service » (soft openings) et des périodes d’accueil limité pour tester flux et dispositifs ; des dates d’inauguration officielle ont été annoncées et différées en fonction d’impératifs techniques, diplomatiques et contextes régionaux. Les médias internationaux et les autorités ont fait état d’une ouverture progressive au public en 2024-2025, avec une inauguration officielle programmée à l’automne 2025.
## Implantation, échelle et composition spatiale
Le site du GME s’étend sur près de 120 acres (près de 500 000 m²), avec une surface bâtie et une surface d’exposition parmi les plus importantes jamais concentrées sur un seul musée dédié à une civilisation. Selon les sources techniques et les communiqués, la surface d’exposition intérieure (floor area) avoisine ~81 000 m² tandis que l’emprise totale du projet approche les 500 000 m² — chiffres qui traduisent l’échelle monumentale de l’opération. Le musée a été pensé pour établir un dialogue visuel et topographique avec les pyramides : ses façades, ses alignements et la composition générale du terrain cherchent à ménager des perspectives sur le plateau de Guizeh.
Le volume d’entrée — l’« atrium » ou Grande Salle — constitue un espace d’accueil monumental permettant d’exposer des pièces de grande taille (dont la colossale statue de Ramsès II) et de générer un parcours muséal qui part de la monumentalité pour rejoindre des galeries thématiques et dynastiques. La façade se caractérise par des panneaux translucides imitant l’albâtre, filtrant la lumière et conférant à l’enveloppe une teinte chaleureuse et changeante.
Architecture, ingénierie et méthodes de construction
Le projet a été conçu par le cabinet Heneghan Peng Architects ; l’ingénierie structurelle et technique a mobilisé des cabinets internationaux (Arup, Buro Happold, etc.) et a impliqué un groupement de construction international dirigé par Orascom Construction en joint-venture avec BESIX. Le recours à des outils BIM de grande ampleur a été souligné comme une étape clé : la coordination de plusieurs dizaines d’entrepreneurs et sous-traitants autour de maquettes numériques a permis d’optimiser la compatibilité des lots et de limiter les conflits d’exécution sur un chantier d’une très grande complexité. Le consortium a également mis en place des procédures de suivi qualité et des opérations de tests (commissioning) exigeants pour l’ensemble des systèmes CVC, de sécurité, d’éclairage et de conservation.
Du point de vue des matériaux, le musée associe une structure contemporaine en béton et acier à des revêtements pierre/marbre et des panneaux translucides. L’exceptionnelle contrainte thermique et lumineuse d’un musée égyptien a conditionné la conception des façades et des systèmes HDR (contrôle de la lumière) pour garantir des conditions de conservation stables. Les laboratoires de restauration, visibles derrière les vitrines lors de visites dédiées, ont été équipés selon les standards internationaux pour la conservation préventive et la restauration active des œuvres archéologiques.
Collections, muséographie et logistique de transfert
Le GME est destiné à accueillir plus de 100 000 objets, répartis entre expositions permanentes, galeries temporaires, espaces éducatifs, réserves et laboratoires. La mise en place d’un parcours chronologique et thématique permettra d’exposer environ 20 000 pièces en rotation ou pour la première fois. La grande promesse muséale est la présentation, pour la première fois dans un même lieu conçu pour elle, de l’essentiel du trésor de Toutânkhamon : plus de 5 000 objets issus de la tombe, dont le célèbre masque funéraire. Le transfert de ces pièces depuis le Musée Égyptien du centre du Caire et leur installation dans des vitrines climatisées et sécurisées a constitué une opération logistique hautement délicate, accompagnée d’opérations de conditionnement, de restauro-conservation et d’essais d’exposition.
Des pièces exceptionnelles comme la seconde « barque solaire » de Khufu ont fait l’objet de campagnes de restauration spécifiques avant leur installation. Les espaces muséographiques intègrent un gros volet scénographique et multimédia : cartographies dynamiques, dispositifs audiovisuels immersifs et panneaux interactifs contrôlent la narration historique et pédagogique du visiteur tout en respectant les contraintes de conservation.
Coût, retombées et enjeux patrimoniaux
Les estimations financières du projet s’échelonnent autour d’un milliard de dollars, chiffre qui place le GME parmi les investissements culturels majeurs portés par un État concerné tant par la sauvegarde du patrimoine que par la relance du tourisme. Au-delà de sa valeur symbolique, le musée est conçu comme un moteur économique régional — création d’emplois, montée en gamme des offres touristiques, et plateforme scientifique internationale pour les études égyptologiques.
Sur le plan patrimonial, la réunification et l’exposition pensée du trésor de Toutânkhamon et d’autres ensembles royaux implique une responsabilité scientifique considérable : conservation à long terme, circulation limitée des pièces pour minimiser les risques, catalogage numérique et politique de prêts internationaux équilibrée. Ces choix muséographiques déterminent la perception internationale de l’Égypte comme gardienne de son passé et acteur culturel de première importance.
Problèmes rencontrés et leçons tirées
Le GME illustre les difficultés inhérentes aux méga-projets culturels : reports répétés, coordination multilatérale, adaptation des ambitions scénographiques à des contraintes budgétaires et temporelles. L’usage systématique du BIM, la planification des transferts d’objets précieux et la mise en place de laboratoires intégrés sont autant de réponses techniques qui peuvent servir de modèle pour de futurs grands projets muséaux. Enfin, la communication publique souligne l’importance de transparence et de gestion d’attentes lorsque l’on gère un patrimoine susceptible d’attirer un public mondial.
Par son échelle, sa collection et sa position face aux pyramides, le Grand Musée Égyptien vise à devenir une référence internationale : lieu de conservation, plate-forme scientifique et destination culturelle. Le chantier a transformé des problématiques d’ingénierie, de muséologie et de diplomatie en pratiques partagées entre acteurs locaux et partenaires internationaux. À la livraison complète des espaces et à l’installation des dernières vitrines, le GME offrira non seulement une nouvelle manière de voir l’Égypte ancienne, mais aussi un cas d’école pour la réalisation de musées contemporains traitant de patrimoines matériels exceptionnels.





