Par Zahi Hawass

Le 1er novembre 2025 restera gravé dans les mémoires comme l’un de ces moments rares où l’humanité toute entière retient son souffle. Ce jour-là, aux pieds des pyramides millénaires, s’est ouvert le Grand Musée Égyptien, bien plus qu’un simple écrin pour des trésors enfouis : une cathédrale moderne érigée à la gloire d’une civilisation qui continue de fasciner le monde par ses inépuisables mystères, son inégalable grandeur et son incomparable beauté.

Une attente planétaire

Jamais dans l’histoire des musées un tel événement n’avait suscité une telle ferveur mondiale. Durant mes voyages à travers le monde ces dernières années, une seule question revenait, obsédante, sur toutes les lèvres : « Quand ouvrirez-vous enfin ce musée ? » Cette interrogation, répétée dans tous les continents, témoignait d’une impatience universelle, comme si l’humanité attendait de renouer avec une part essentielle d’elle-même.

L’ouverture du Grand Musée Égyptien n’est pas simplement l’inauguration d’un bâtiment. C’est une célébration qui transcende les frontières, un cadeau offert à tous les musées du monde, une promesse tenue envers les générations futures.

Le génie d’un lieu unique

La magie commence par le lieu lui-même. Quel autre musée au monde peut se targuer de dialoguer avec l’une des Sept Merveilles du Monde Antique ? Les pyramides de Gizeh, seules survivantes de cette liste prestigieuse, montent la garde depuis des millénaires. Et voilà qu’à leurs pieds s’élève aujourd’hui un temple contemporain dédié à leur civilisation.

Cette symbiose n’est pas le fruit du hasard. Lorsque plus de 1 600 cabinets d’architecture du monde entier ont concouru pour ce projet titanesque, c’est un architecte chinois établi en Irlande qui a su capturer l’essence de ce dialogue intemporel. Son génie ? Avoir tissé des liens architecturaux subtils entre le musée et le plateau sacré de Gizeh, créant ainsi un pont entre passé et présent.

La vision initiale revient à Farouk Hosni, ancien ministre de la Culture, dont l’audace a permis de consacrer 117 hectares à ce qui allait devenir « le plus important musée du monde ». Dès la pose de la première pierre en 2002, en présence du président de la République, l’Égypte envoyait un message retentissant : ses trésors ne seraient pas seulement préservés, ils seraient magnifiés.

Un message au monde

Malgré les défis économiques auxquels le pays a dû faire face, l’Égypte a investi des centaines de millions dans ce projet pharaonique. Pourquoi un tel engagement ? Pour affirmer une vérité essentielle : le patrimoine égyptien n’appartient pas qu’à l’Égypte. Il est l’héritage de l’humanité toute entière.

J’ai eu l’immense privilège de participer à l’édification de ce joyau en tant que secrétaire général des Antiquités égyptiennes. Grâce aux expositions itinérantes du trésor de Toutankhamon à travers le monde, nous avons pu financer la construction de laboratoires de restauration et d’entrepôts dignes des standards internationaux les plus exigeants. Puis, des entreprises égyptiennes de renommée mondiale ont pris le relais, transformant les plans en une réalité époustouflante.

Résultat ? Une symphonie muséale sans équivalent, où chaque salle d’exposition devient un mouvement d’une œuvre orchestrale parfaite.

Un voyage dans l’éternité

Franchir le seuil du Grand Musée Égyptien, c’est entamer un voyage initiatique. Dès l’entrée, l’obélisque du roi Ramsès II, venue de Tanis, vous accueille dans sa majesté verticale. Vous marchez sous son ombre tutélaire, déchiffrant au passage le cartouche du « Roi des Rois ».

Puis, tel un souverain recevant ses hôtes, se dresse le colosse de Ramsès II lui-même. Ce titan de 83 tonnes, que nous avons transporté depuis la place qui portait son nom dans une procession mémorable, monte désormais une garde éternelle à l’entrée du musée. À ses côtés, une statue royale rescapée des profondeurs de la Méditerranée, la colonne du roi Merenptah et la statue de Hâpy, dieu du Nil, forment une cour d’honneur grandiose qui conduit au musée des barques solaires.

Les navires de l’éternité

Le musée des barques de Khéops mérite à lui seul le voyage. J’avais proposé de transférer la barque solaire depuis son musée au sud de la pyramide de Khéops vers le Grand Musée. Ce défi logistique d’une complexité inouïe fut relevé avec maestria sous la supervision du général ingénieur Atef Moftah.

Mais l’innovation va plus loin : pour la première fois dans l’histoire de la muséographie, les visiteurs assisteront en direct à la restauration de la deuxième barque par des experts japonais. Imaginez ce privilège extraordinaire : observer, minute après minute, la renaissance d’un vaisseau funéraire vieux de 4 500 ans !

Si je devais choisir le cœur battant du musée, ce serait sans hésitation le Grand Escalier. Nulle part ailleurs au monde n’existe un espace comparable. En gravissant les marches, vous cheminez à travers trois millénaires d’histoire. Rois et reines, souverains et dignitaires de la Première Dynastie jusqu’à l’époque tardive vous accompagnent dans cette ascension temporelle, tels des fantômes bienveillants guidant vos pas.

Au sommet, douze salles d’exposition déploient leurs trésors selon une scénographie qui frôle la perfection. Parmi ces merveilles, l’une reste méconnue du grand public : la tombe-cachette de la reine Hétep Hérès, mère du roi Khéops, découverte en 1925. Cette trouvaille, bien que majeure, fut éclipsée par un événement concurrent : Howard Carter ouvrait au même moment la chambre funéraire de Toutankhamon à Louxor, captant toute l’attention de la presse mondiale.

Toutankhamon : L’apothéose

La collection de Toutankhamon occupe naturellement une place centrale. Pour la première fois de l’histoire, les 5 398 objets découverts par Carter seront réunis et exposés dans leur intégralité. Un exploit muséographique sans précédent.

Le masque funéraire, cette icône universelle, trône seul dans une salle dédiée, sanctuaire dans le sanctuaire. J’imagine déjà les visiteurs franchissant le seuil de cette chambre sacrée, le souffle coupé devant ce chef-d’œuvre absolu qui incarne à lui seul le génie de l’art égyptien antique. Le musée a même prévu un accès latéral à cette salle : ainsi, un voyageur ne disposant que d’une heure en Égypte pourra accomplir son pèlerinage et contempler ce visage d’or qui hante l’imaginaire collectif.

Le trône de l’amour

Si l’on me demandait quelle pièce touche le plus profondément mon cœur, je répondrais sans hésiter : le trône de Toutankhamon. Non pour sa valeur matérielle, mais pour l’hymne à l’amour qu’il chante depuis plus de trois millénaires.

Observez cette scène gravée : le jeune pharaon est assis, majestueux, tandis que son épouse Ânkhésenamon lui offre des fleurs, geste tendre et éternel. Mais le détail le plus émouvant, celui que peu remarquent, se trouve à leurs pieds : ils portent une seule paire de sandales. La sandale droite au pied du roi, la gauche au pied de la reine. Deux êtres, une seule âme. Deux corps, un seul chemin.

Cette métaphore visuelle de l’union parfaite transcende les siècles et les cultures. Elle nous rappelle que, sous la pompe et l’apparat royal, battaient des cœurs humains capables d’aimer avec une intensité que l’or et les pierres précieuses ne sauraient exprimer.

Un héritage pour l’Humanité

Le Grand Musée Égyptien est bien plus qu’un projet culturel du XXIe siècle. C’est une institution pédagogique destinée à transmettre la flamme d’une civilisation exceptionnelle. C’est un pont jeté entre le présent et l’éternité, une invitation à redécouvrir des trésors que nous pensions connaître.

Chaque visiteur repartira avec des histoires nouvelles, des récits oubliés, des détails insoupçonnés. Car ce musée ne se contente pas d’exposer des objets : il raconte l’épopée humaine dans ce qu’elle a de plus noble, de plus beau, de plus mystérieux.

En ces temps incertains, l’Égypte offre au monde un havre de beauté et de sagesse millénaire. Elle nous rappelle que, par-delà les tourments de l’actualité, il existe des valeurs éternelles qui méritent d’être célébrées, préservées, transmises.

Le 1er novembre 2025 n’est pas seulement une date d’inauguration. C’est le commencement d’un nouveau dialogue entre l’humanité et son passé glorieux, une conversation qui, j’en suis convaincu, enrichira les générations futures pendant des siècles.

Bienvenue dans le plus grand musée du monde ! Bienvenue dans le temple de l’éternité !