Par: Walaa El-Assrah
A l’aune de tous les indicateurs, composition des réserves de change, facturation du commerce mondial etc., le dollar continue à faire la course en tête. N’empêche que, s’interroge Christian de Boissieu, le rejet de la domination américaine prend aujourd’hui un tour monétaire avec le thème de la dédollarisation, comme titrait Les Echos, le 6 janvier 2024.
En s’interrogeant sur une possible dollarisation du pays, l’Argentine et son nouveau président font figure d’exception, si l’on met à part les cas plus anciens et anecdotiques du Panama ou du Salvador. Car, aujourd’hui, parmi la plupart des pays émergents, l’ambiance vire à la contestation du billet vert et de l’hégémonie des Etats-Unis.
Le rejet de la domination américaine prend aujourd’hui un tour monétaire avec le thème de la dédollarisation, l’idée que le dollar voit son rôle dans le monde s’effriter inéluctablement au profit d’autres monnaies de réserve. Qu’en est-il exactement ? A quoi s’attendre ?
De nombreuses puissances ont annoncé vouloir se détourner du dollar. C’est le cas de l’Arabie saoudite, la Malaisie ou encore des BRICS. Cependant, la dédollarisation se manifestera-t-elle de sitôt ? Pour William Gerlach, d’iBanFirst, rien n’est moins sûr analyse t-il dans son article publié au Capital.fr.
Si l’on regarde dans le rétroviseur, les récents appels à lutter contre la suprématie du dollar sont loin de présenter un caractère original. En juin 1975, deux ans après le choc pétrolier, l’OPEC annonçait couper les liens avec le dollar américain et commencer à coter les prix en droits de tirage spéciaux. Nous savons tous ce qu’il est advenu. Un phénomène similaire s’est produit en 2018 lorsque le premier contrat pétrolier a été conclu en yuan chinois. De nombreux spécialistes présentaient cette opération comme une étape vers la dédollarisation du monde. Rien de tout cela n’est survenu. A l’heure actuelle, 85% des transactions pétrolières sont effectuées en dollars, ainsi que 88% des transactions internationales, selon la Banque des règlements internationaux.
Pourquoi nous n’assisterons pas à un détrônement du dollar? La première raison concerne la dette publique des États. La majorité de la dette à l’international est labellisée en dollar américain. Pour la rembourser, il faut donc du dollar américain. Cela touche l’ensemble des grandes puissances, y compris la Chine, dont les premiers prêts dans le cadre de la nouvelle route de la soie ont été effectués en dollar.
La deuxième raison repose sur l’étroite relation entre l’hégémonie militaire des États-Unis et sa puissance monétaire. Plus un pays entretient de liens militaires solides avec Washington, plus sa dépendance au dollar est avérée. C’est ce que démontre une étude de la Fed selon laquelle les trois quarts de la réserve de dollars américains sont détenus par des pays qui ont une forte relation militaire avec les États-Unis. Supposons que le dollar soit moins utilisé dans les échanges internationaux (ce qui est peu probable), cela ne signifierait pas forcément qu’il perde son statut à l’international, en raison précisément de l’hégémonie militaire des Etats-Unis.
Troisièmement, plusieurs facteurs structurels favorisent un système international basé sur le dollar américain (plutôt que sur le yuan chinois par exemple). Les dollars américains sont facilement convertibles, à l’inverse du yuan. Le billet vert présente une forte liquidité, contrairement au yuan chinois. Le yuan est indexé sur le dollar (même si cela pourrait changer dans le futur). Enfin, les États-Unis restent le pays le plus puissant sur le plan économique ainsi que le plus grand producteur de pétrole au monde. Tous ces éléments pèsent lorsqu’il s’agit d’établir une monnaie de réserve.
A moins d’un changement radical sur le plan géopolitique et économique, il est probable que le dollar américain continue d’être la pierre angulaire de l’économie mondiale dans un futur proche. Mais quid du moyen terme ?
Nous entrons probablement dans un système monétaire international plus décentralisé, dans lequel le dollar américain restera la devise principale aux côtés de nombreux concurrents, à l’instar du yuan. Cette compétition est saine au niveau international puisqu’il n’est pas bon pour une économie d’un pays de ne reposer que sur une monnaie en particulier. Cela crée effectivement des déséquilibres pour le pays en question mais également pour les États-Unis.
En effet (et c’est probablement le point le plus important), les Etats-Unis en tant qu’économie pâtissent également d’un dollar trop puissant. L’hégémonie du dollar américain accroît les importations vers les États-Unis tout en diminuant la compétitivité du pays à l’exportation. Cela entraîne directement la détérioration de sa base industrielle. En conclusion, la diversification des banques centrales fortes à l’international et des processus de paiement (qui ne seraient plus l’apanage exclusif du dollar américain) serait certes mauvaise pour les Etats-Unis en tant qu’”empire” mais bénéfique pour le pays et ses entreprises.