S’il n’y avait pas eu d’eau sur Terre, la vie n’y serait très probablement jamais apparue. Il faut dire que ses propriétés facilitent les réactions chimiques comme aucun autre liquide. La question de l’origine de ce précieux fluide, particulièrement abondant sur notre planète, est donc fondamentale pour mieux comprendre d’où nous venons
Pour tenter de remonter la piste de l’eau terrestre, les scientifiques utilisent sa signature isotopique. En clair, si un élément chimique, comme l’hydrogène de l’eau, correspond à un unique atome, il en existe toutefois plusieurs variétés. Ces variantes, que l’on appelle des isotopes, possèdent des propriétés chimiques quasi identiques, le même nombre de protons et d’électrons, mais un nombre différent de neutrons. De fait, il existe donc deux types d’eau : l’eau ordinaire (H²O), à base d’hydrogène (H) dépourvu de neutron, et l’eau lourde (D²O), faite d’un isotope de l’hydrogène doté d’un neutron, le deutérium (D), bien plus rare.
La signature de l’eau
Dans la nature, les deux sont mélangés, de sorte qu’en mesurant l’abondance respective du deutérium et de l’hydrogène (rapport D/H) on obtient une sorte de signature de l’eau étudiée. C’est ainsi que les scientifiques se sont, par exemple, aperçus que des météorites, les chondrites carbonées, véritables fossiles de la formation du système solaire, incorporent des minéraux hydratés dont l’eau présente un rapport D/H – autrement dit une signature isotopique – très proche de celui de l’eau de nos océans.
Mais en quoi ce rapport D/H est-il particulièrement significatif pour retracer l’origine de l’eau terrestre ? « Pour le comprendre, il faut savoir que tout l’hydrogène et tout le deutérium qui existent dans le cosmos se sont formés au début de l’Univers et qu’on n’en a pas fabriqué depuis. Il s’agit des premiers atomes à partir desquels tous les autres éléments chimiques ont été produits, par fusion nucléaire, dans le cœur des générations successives d’étoiles », nous explique l’astronome et chimiste Cecilia Ceccarelli, chercheuse à l’Institut de planétologie et d’astrophysique de Grenoble. Or on estime qu’il y avait, au début de l’Univers, environ 1 atome de deutérium pour 100 000 atomes d’hydrogène.
Qu’en est-il du rapport D/H de l’eau terrestre ? On y trouve environ 1 atome de deutérium pour 10 000 atomes d’hydrogène, soit dix fois plus : voilà qui n’est pas anodin ! L’eau terrestre a donc subi une transformation qui fait qu’elle contient plus d’eau lourde qu’attendu. Autrement dit, un ou plusieurs processus l’ont enrichie en deutérium. Mais alors, où et quand ?
Un embryon de système solaire
Une nouvelle étude publiée cette semaine dans la revue Nature vient nettement confirmer ce que les spécialistes de la question, comme l’Italienne Cecilia Ceccarelli, subodorent depuis déjà quelque temps : l’eau que nous buvons, et que les dinosaures ont bue avant nous, s’est formée avant notre propre étoile, dans le nuage de gaz où le Soleil n’était encore qu’en gestation. Elle est donc plus vieille que le Soleil lui-même ! C’est du moins ce que suggèrent des observations réalisées grâce au radiotélescope Alma de l’Observatoire européen austral (ESO), qui ont permis de trouver, en quelque sorte, le chaînon manquant de l’histoire.