Par: Walaa El-Assrah
Croissance, inflation, commerce mondial… rien ne se passe comme prévu. Car, s’étonne Eric Le Boucher, l’économie continue de se croire dans le doux et facile monde d’avant. « L’économie ne doit pas se perdre dans les fausses issues de la drogue monétaire, des suicidaires, analyse Les Echos, le 16 février 2024. Ne demandez surtout pas votre chemin aux économistes : ils sont encore plus perdus que vous. La profession est hébétée, ne comprenant plus rien à ce qui se passe. L’économie est devenue une somme de mystères. Le premier d’entre eux est, bien entendu, qu’elle se porte plutôt pas mal dans un monde qui plonge vers l’abîme : guerres, réchauffement, conflit sino-américain, contestation de l’ordre occidental, déclaration explosive d’un Trump sur l’Otan … Le FMI, en contraste, parle d’« atterrissage en douceur ». Douceur ? Le monde s’entretue, l’économie est au spa… Le deuxième mystère concerne les rouages économiques eux-mêmes. Voilà près de trois décennies que les banques centrales ont adopté des politiques d’argent abondant et quasi gratuit. Les « crises » (Internet, subprimes, pandémie…) ont été vite surmontées, la croissance a été sauvée et plein de secteurs nagent depuis lors dans la bulle d’une opulence artificielle, en premier les marchés financiers et immobiliers. Une économie mondiale résiliente qui progresse tant bien que mal, en suivant des trajectoires divergentes La probabilité d’un atterrissage en douceur augmente, mais les prévisions de croissance sont les plus faibles depuis des décennies. L’économie mondiale continue de se remettre de la pandémie, de l’invasion de l’Ukraine par la Russie et la crise du coût de la vie. A posteriori, on peut dire que sa résilience a été remarquable. En dépit des perturbations sur le marché de l’énergie et des produits alimentaires provoquées par la guerre, et du durcissement sans précédent des conditions monétaires pour lutter contre une inflation qui n’avait jamais été aussi élevée depuis des décennies, l’activité économique a ralenti, mais n’est pas au point mort. La croissance n’en demeure pas moins lente et inégale, et les disparités s’accentuent. L’économie mondiale avance tant bien que mal, mais n’est pas prête à se lancer dans un sprint. D’après nos dernières projections, la croissance mondiale va ralentir et passer de 3,5 % en 2022 à 3 % cette année, puis à 2,9 % l’année prochaine, ce qui représente une révision à la baisse de 0,1 point de pourcentage pour 2024 depuis juillet. Ces chiffres restent très inférieurs à la moyenne historique. L’inflation globale continue de ralentir, de 9,2 % en 2022 à 5,9 % cette année et à 4,8 % en 2024 (en glissement annuel). L’inflation hors énergie et alimentation devrait elle aussi reculer, mais plus progressivement, à 4,5 % l’année prochaine. La plupart des pays ont peu de chances de ramener l’inflation à son niveau cible avant 2025. Les projections suivent donc de plus en plus un scénario d’atterrissage en douceur, l’inflation diminuant sans repli majeur de l’activité, en particulier aux États-Unis, où nous prévoyons désormais que la hausse du chômage sera faible, de 3,6 % à 3,9 %, d’ici à 2025. Pourtant, des disparités importantes se font jour, l’activité dans certaines régions étant très inférieure à ce qui était prévu avant la pandémie. Ce ralentissement est plus prononcé dans les pays avancés que dans les pays émergents et les pays en développement. Parmi les pays avancés, les prévisions de croissance aux États-Unis ont été revues à la hausse, la consommation et l’investissement ayant fait preuve de résilience, tandis que dans la zone euro, l’activité a été révisée à la baisse. Contre toute attente, de nombreux pays émergents se sont également révélés résilients, à l’exception notable de la Chine, confrontée à toujours plus de vents contraires provoqués par la crise de l’immobilier et l’affaiblissement de la confiance. Trois forces sont en jeu : • • La reprise dans le secteur des services est quasiment achevée, et la forte demande qui soutenait les économies tertiarisées est en train de fléchir. • • Le resserrement des conditions de crédit pèse sur les marchés immobiliers, l’investissement et l’activité, en particulier dans les pays où la part des prêts hypothécaires à taux variable est élevée, ou dans ceux où les ménages sont moins disposés à puiser dans leur épargne ou moins en mesure de le faire. Les faillites d’entreprises augmentent dans certains pays, mais elles partaient d’un niveau historiquement bas. Les pays en sont aujourd’hui à des stades différents du cycle de hausse des taux : les pays avancés, à l’exception du Japon, sont proches du sommet, alors que certains pays émergents qui avaient commencé leur hausse plus tôt, comme le Brésil et le Chili, ont déjà amorcé une détente. • • L’inflation et l’activité économique sont marquées par le choc de l’année dernière sur les prix des produits de base. Les pays très tributaires des importations énergétiques de Russie ont connu une plus forte hausse des prix énergétiques et un ralentissement plus prononcé. Les répercussions de la hausse des prix de l’énergie ont davantage fait augmenter l’inflation hors énergie et alimentation dans la zone euro qu’aux États-Unis, où les pressions de cette inflation sous-jacente tiennent plutôt à une pénurie de main-d’œuvre.