La parfumerie occidentale a ses racines dans celle du monde gréco-romain qui est fille de la parfumerie égyptienne. Considérés comme les maîtres incontestés de cet art, les Égyptiens l’ont profondément marqué de leur empreinte.
L’“anti”, parfum primordial est pour eux la «sueur des dieux» et c’est la science des embaumeurs qui assure le passage du défunt dans une autre vie en faisant de lui un « parfumé ». Mais cette culture du parfum déborde largement le domaine du sacré pour s’étendre à la vie quotidienne. Dès les premières dynasties, palettes à fard, pots et vases à onguents, fioles à parfum, font partie des mobiliers funéraires qui recréent autour des défunts les conditions de leur vie terrestre. En terre cuite, ivoire, diorite, plus tard en pâte de verre, ils attestent d’un raffinement qui culmine avec les délicates cuillères à fard et les balsamaires d’albâtre du Nouvel Empire. Utilisés pour les rituels et dotés d’une fonction symbolique, les parfums ont contribué à l’établissement de comptoirs commerciaux dans le delta du Nil. Les parfums ont toujours occupé une place importante dans l’Égypte antique. Hatchepsout, reine d’Égypte au XVe siècle avant J.-C., considérée comme une intermédiaire entre les dieux et les habitants, était chargée de veiller à ce que le royaume soit toujours rempli de senteurs agréables.
Les senteurs sont même mentionnées dans les inscriptions découvertes au temple d’Edfou, où il se dit que le roi d’Égypte Ptolémée X s’oignait des meilleurs parfums dans le cadre de ses rituels du matin.
Le papyrus Ebers, l’un des plus anciens papyrus médicaux de l’Égypte antique, indique que des senteurs agréables emplissaient les pièces des maisons de familles nobles et imprégnaient leurs vêtements.
Il en ressort clairement que les senteurs étaient un élément clé de la vie quotidienne des Égyptiens de l’Antiquité et qu’elles font toujours partie intégrante de l’expérience humaine, offrant des indices précieux sur de nombreux aspects du passé, tels que les rituels, la cuisine, les parfums, l’hygiène, le commerce et la médecine.
En explorant la manière dont les Égyptiens de l’Antiquité donnaient un sens au monde par l’odorat, nous pouvons en apprendre davantage sur certaines pratiques et hiérarchies sociales de l’époque, ainsi que sur leur perception du monde.
Épices exotiques

Bien que les senteurs révèlent beaucoup de choses sur la population et le climat de l’Égypte antique, l’égyptologie n’a pas encore reconnu tout le potentiel de l’étude des senteurs et tout ce qu’elle peut nous apprendre. « Il est très important de cerner les Égyptiens de l’Antiquité à travers l’odorat, car il avait énormément de signification dans leur culture. Si nous négligeons ce volet de leur culture, alors nous en négligeons une grande partie », affirme à “Middle East Eye” Dora Goldsmith, égyptologue à l’Université libre de Berlin et principale chercheuse sur le sujet.
La chercheuse, qui a traduit des inscriptions trouvées à Deir el-Bahari, Edfou et sur le papyrus Ebers, relève que la plupart des publications sur les découvertes archéologiques en Égypte observent l’Égypte antique uniquement sur le plan visuel.
Qu’il s’agisse de cercueils, de chambres funéraires, de temples ou de villes, les publications évoquent rarement les senteurs. Les choses commencent toutefois à changer, dans la mesure où certains chercheurs tentent de combler de diverses manières les lacunes de ce paysage en grande partie inodore.
Dora Goldsmith passe au peigne fin les textes anciens pour rechercher des références au monde des senteurs, allant même jusqu’à recréer des parfums et des paysages olfactifs de l’Égypte antique.
D’autres se mettent en quête de preuves archéologiques en Égypte. D’autres encore tentent de découvrir le contenu d’objets anciens en analysant les molécules odorantes qui ont été préservées.
« Ces trois méthodes produisent différents types d’informations », explique Barbara Huber, chercheuse à l’institut Max-Planck de science de l’histoire humaine, en Allemagne.
« En recoupant des analyses scientifiques et des informations tirées des textes anciens, des représentations visuelles et les archives archéologiques et environnementales plus vastes, nous pouvons découvrir de nouveaux aspects des mondes olfactifs du passé, de l’évolution de nos sociétés et de nos cultures, ainsi que de notre évolution en tant qu’espèce », souligne Barbara Huber.
Située à un endroit stratégique dans le delta du Nil, Thmuis devint un centre majeur du commerce de parfum dans le monde antique. Des épices exotiques venues d’Inde, de la péninsule Arabique et d’autres régions d’Afrique affluaient vers la ville pour alimenter son industrie la plus importante. Sa production était ensuite expédiée à Alexandrie avant de traverser la Méditerranée.
Les travaux archéologiques entrepris depuis quelques années par Jay Silverstein et Robert Littman commencent à mettre au jour une partie de ce passé glorieux.
« C’était l’industrie la plus importante de cette région », indique Jay Silverstein à MEE. « Il y avait beaucoup d’argent à gagner, les parfumeurs et les marchands les plus talentueux étaient concentrés ici et pouvaient se procurer toutes les épices venues du monde entier. »