Entre respect des valeurs ancestrales et désir de liberté, une jeunesse bouillonnante tente de trouver sa place. Ces jeunes Egyptiens, nés dans une société millénaire ancrée dans des traditions séculaires, se tiennent aujourd’hui sur le seuil de deux mondes : celui de leurs ancêtres et celui d’un futur globalisé qui frappe à la porte. Les jeunes générations expriment de plus en plus leur besoin d’autonomie, de choix personnels et de liberté. Ce débat soulève une question cruciale : comment concilier héritage culturel et ouverture à la modernité ?
Par : Hanaa Khachaba
Ils sont connectés, éduqués, ouverts sur le monde. Ils parlent plusieurs langues, maîtrisent les outils numériques, rêvent de start-ups, de voyages, d’autonomie. Et pourtant, nombre de jeunes Egyptiens se retrouvent pris au piège d’un monde familial et social qui demeure obstinément arrimé aux normes du passé. Entre l’envie d’avancer et l’obligation de rester dans le rang, le dilemme est profond et … croissant.
Les jeunes Egyptiens d’aujourd’hui évoluent dans un environnement paradoxal : d’un côté, une société globalisée, en mutation rapide, où les idées circulent librement via internet et les réseaux sociaux ; de l’autre, une culture marquée par le poids des traditions, des normes familiales et sociales, souvent dictées par une vision conservatrice de la religion, du rôle de l’homme et de la femme, ou encore du succès personnel.
« Rien n’a vraiment changé depuis l’époque de mes grands-parents », confie Sarah, 26 ans, ingénieure en informatique. « Mes parents attendent toujours de moi que je me marie tôt, que je reste près de la famille, que je m’habille comme il faut, que je ne sorte pas trop. Tout ce qui est nouveau leur fait peur. » Cette peur du changement se manifeste souvent par des jugements, des interdits implicites, ou encore des attentes rigides. Nombreux sont ceux qui se plaignent du regard social pesant : ce « que dira-t-on ? » omniprésent, qui bride les choix personnels.

Pourtant, la jeunesse ne manque ni de rêves ni de moyens. La génération actuelle est sans doute l’une des plus qualifiées de l’histoire du pays. Elle étudie à l’étranger, s’auto-forme en ligne, entreprend, innove. Mais dans la sphère intime, la rupture reste difficile.
Un jeune homme qui repousse le mariage pour se consacrer à son projet professionnel est souvent perçu comme instable. Une jeune femme qui s’habille à l’occidentale ou exprime des opinions féministes se heurte à des reproches sur l’honneur familial. Le culte de l’apparence, du silence, du respect inconditionnel envers l’autorité parentale reste puissant.
« Ce n’est pas qu’on rejette nos traditions, explique Ahmed, étudiant en droit. Mais pourquoi faut-il tout accepter sans poser de questions ? Pourquoi une fille ne pourrait-elle pas voyager seule ou vivre sa vie sans être jugée ? ».
Ce décalage génère un double discours. Officiellement, la société encourage la jeunesse, l’innovation, l’ouverture. Mais dans les faits, elle impose des limites sévères à l’autonomie de pensée et d’action. On valorise le progrès économique, mais on garde une emprise sociale sur les corps, les choix, les valeurs. Résultat : beaucoup de jeunes se retrouvent dans un entre-deux inconfortable. Ils parlent anglais ou français, créent des contenus modernes, mais rentrent chez eux pour affronter des normes traditionnelles. Certains se plient. D’autres mènent une double vie. D’autres encore choisissent l’exil, physique ou mental.
Malgré tout, une évolution s’amorce, lentement. Certaines familles commencent à écouter, à dialoguer, à accepter que les temps ont changé. Les réseaux sociaux, malgré leurs excès, ouvrent des espaces d’expression où la parole se libère, où des modèles alternatifs émergent. Ils ouvrent aussi une fenêtre sur le monde, accessible par les parents qui peuvent désormais porter un regard plus large sur les changements mondiaux. L’explosion des réseaux sociaux, l’accès à l’éducation supérieure et les échanges culturels internationaux, les jeunes générations s’ouvrent à d’autres modèles de vie. Cette ouverture suscite des tensions : certains y voient une perte de repères, d’autres une opportunité d’élargir les horizons. Ce tiraillement entre tradition et innovation est particulièrement visible dans les milieux urbains, où les influences occidentales coexistent avec les valeurs locales.
Mais le changement profond viendra, peut-être, d’une prise de conscience collective : celle que tradition ne signifie pas immobilisme, et que l’identité égyptienne peut se renouveler sans se renier. La jeunesse, elle, ne demande qu’à participer à ce mouvement. A condition qu’on lui en laisse la liberté.
Le débat est loin d’être clos, mais il mérite d’être posé avec nuance et ouverture. Car l’avenir d’une société se construit toujours entre les leçons du passé et les rêves de ceux qui la feront demain.