À l’heure où l’intelligence artificielle compose de la musique, peint des tableaux, écrit des poèmes et diagnostique des maladies, une question inattendue émerge dans les laboratoires et les salles de conférence du monde entier : les robots auront-ils de l’humour ? Peut-on espérer un jour qu’un robot nous fasse rire — non pas par maladresse, mais par réelle intention comique ? Plus encore, l’humour serait-il la clé pour franchir la barrière entre l’intelligence artificielle et la conscience humaine ?
Dans l’imaginaire collectif, le robot drôle est soit une anomalie fascinante (voir les répliques sarcastiques de C-3PO dans Star Wars), soit une prouesse inaccessible, tant le rire semble profondément enraciné dans la culture, le vécu, les émotions. Mais aujourd’hui, les machines apprennent à faire rire. Et ce n’est pas (que) une blague.
Quand les algorithmes prennent le micro
Des chercheurs du MIT au Japon en passant par Paris, les ingénieurs et linguistes s’attaquent au plus imprévisible des phénomènes cognitifs : le sens de l’humour. Un robot nommé Data a déjà participé à des spectacles d’improvisation en Californie. En 2023, une IA britannique nommée JokAI a été testée sur un public réel dans un comedy club de Londres. Verdict ? Quelques rires polis, beaucoup de perplexité, et un grand débat sur ce qu’est vraiment l’humour.
L’humour est une mécanique subtile, un jeu de contexte, d’intonation, de rupture d’attente. Il s’appuie sur l’ambiguïté, les références culturelles, les émotions — autant de domaines où les IA peinent encore à faire preuve d’intuition. « Ce n’est pas une question de traitement de données, mais de profondeur humaine », souligne la chercheuse française Aurélie Marchand, spécialiste en linguistique computationnelle.
Humour programmé, rire forcé ?
Peut-on vraiment programmer l’imprévisible ? Les blagues sont souvent fondées sur des jeux de mots, des doubles sens, voire des transgressions. Mais les robots ne comprennent ni le tabou, ni le sarcasme, ni l’absurde. Ils les repèrent, au mieux. Ils les simulent, parfois. Mais les ressentent-ils ? Non. Et c’est bien là le cœur du débat.
Car rire, c’est aussi se reconnaître, partager une complicité implicite. C’est une façon de dire : « Je te comprends. » Or, les robots, aussi perfectionnés soient-ils, ne comprennent pas encore comme nous. Ils analysent, comparent, produisent. Mais ils ne ressentent pas. Pas encore.
Le rire, miroir de notre humanité
Pourtant, certaines IA commencent à frôler la réussite. En 2025, une IA formée sur des milliers de sketches a été capable de générer des blagues de style “stand-up” avec un taux de rires chez les testeurs humains avoisinant les 60 %. Bluffant ? Oui. Inquiétant ? Peut-être. Car si la machine rit, qu’est-ce qui nous reste ? L’émotion ? L’empathie ? La fragilité ?
L’humour est aussi une arme, un levier politique, un outil de subversion. Orwell disait que « chaque blague est une petite révolution ». Les robots riront-ils contre le pouvoir ? Seront-ils capables d’ironie sociale ? De critique douce-amère ? Là encore, c’est un terrain glissant que les ingénieurs explorent avec prudence.
Et demain ? Un robot sur scène ?
Alors, verrons-nous un jour un robot monter sur scène, provoquer l’hilarité d’un théâtre plein à craquer et improviser face à un spectateur qui éternue au mauvais moment ? Peut-être. Ou peut-être pas. Car au fond, l’humour n’est pas qu’une mécanique du langage. C’est un langage du cœur. Une passerelle entre les esprits. Une vibration fugace mais authentique.
Et si, justement, l’humour restait notre dernier refuge, notre ultime privilège ? Non pas par supériorité cognitive, mais parce que rire, c’est vivre ensemble. Et que pour l’instant, aucune machine ne sait vraiment ce que cela signifie.