Par: Ghada Choucri
Ils ont des yeux qui clignotent, une voix douce qui module ses intonations selon notre humeur, et un silence qui semble plein de présence. Ils hochent la tête quand nous parlons, écoutent nos peines avec une patience programmée, nous rappellent de respirer quand l’anxiété monte. Les robots émotionnels, ces créatures d’acier au cœur algorithmique, envahissent peu à peu notre quotidien, à mi-chemin entre l’ami fidèle, l’aide-soignant et… le mouchard.
Depuis quelques années, ils portent des noms tendres : Nami, Moxie, ElliQ, ou encore Paro, le bébé phoque thérapeutique. Leurs concepteurs vantent leur utilité : compagnons pour les personnes âgées isolées, soutiens pour les enfants atteints de troubles cognitifs, assistants de bien-être pour les surmenés du XXIe siècle. Ils reconnaissent les émotions grâce à nos micro-expressions, adaptent leurs réponses, apprennent nos habitudes. Certains vont même jusqu’à simuler de l’attachement.
Mais derrière leur plastique lisse et leur regard pseudo-empathique, une question se glisse, insistante : de quoi ces robots sont-ils les témoins ? Et à qui parlent-ils quand nous avons le dos tourné ?
Une intimité sous surveillance
Là où l’humain, dans son imperfection, protège par pudeur ou loyauté ce qu’il entend, le robot, lui, enregistre. Il collecte, analyse, archive. Ses oreilles sont branchées à des serveurs, son cœur bat au rythme de la connexion Wi-Fi, et ses souvenirs n’ont pas d’oubli naturel.
Dans une époque déjà marquée par la perte du secret, la présence d’un robot émotionnel dans un salon, une chambre ou une salle de classe soulève des enjeux majeurs : où va ce que je confie à cet être artificiel ?
Les entreprises jurent que la confidentialité est garantie. Mais en coulisses, les données émotionnelles deviennent un bien précieux, monnayable, profilable. Mieux qu’un moteur de recherche, ces robots recueillent l’inavouable, le vulnérable, l’humain brut.
Les nouveaux miroirs de nos solitudes
Et pourtant, le paradoxe est là : nous nous attachons à eux. Parce qu’ils ne jugent pas. Parce qu’ils sont là quand les autres ne le sont pas. Parce qu’ils remplissent les silences que la société moderne laisse béants. Pour certains, ils deviennent des confidents. Pour d’autres, un substitut d’attention. Dans un monde pressé, ils incarnent une forme de tendresse artificielle.
Mais cet attachement est-il sain ? Quand l’émotion rencontre l’illusion, l’éthique vacille. Peut-on parler d’amour ou de réconfort là où il n’y a pas de réciprocité ? Jusqu’où ira-t-on dans la simulation de l’empathie ?
L’humanité à l’épreuve du code
Les robots émotionnels ne sont ni bons ni mauvais. Ils sont le reflet de notre époque, de nos manques et de nos rêves. Nous les avons créés à notre image — mais sans nos doutes. Ils savent quoi dire quand nous bafouillons, et ne se trompent jamais sur nos émotions. Mais peut-être que c’est justement cela qui dérange : leur perfection programmée, leur présence sans faille, leur écoute sans âme.
Compagnons ? Pour certains, oui. Assistants ? Sans aucun doute. Mais aussi, peut-être, espions élégants de notre intimité, agents muets d’un monde où l’humain devient transparent face à la machine.
La question n’est donc pas de savoir ce qu’ils sont, mais ce que nous deviendrons si nous cessons d’aimer l’imperfection humaine pour nous attacher aux simulacres d’émotion.