Du karkadé aux tisanes de fenugrec, redécouvrez les trésors de la pharmacopée traditionnelle égyptienne
Par Ghada Choucri
Avec les températures qui commencent à baisser au Caire et à Alexandrie, les Égyptiens ressortent naturellement leurs traditions ancestrales de tisanes chaudes et réconfortantes. C’est le moment idéal pour redécouvrir ces plantes médicinales qui ont traversé les millénaires, du temps des pharaons jusqu’à nos jours. Dans les ruelles étroites des souks, les étals d’herboristes débordent de couleurs et de senteurs : hibiscus rouge vif, graines dorées de fenugrec, bouquets généreux de menthe fraîche. Ces plantes ne sont pas de simples reliques du passé. La science moderne commence à valider ce que les Égyptiens savaient intuitivement depuis toujours, révélant des vertus thérapeutiques remarquables pour ces remèdes naturels accessibles à tous.
L’or rouge et doré du patrimoine égyptien
Le karkadé occupe une place particulière dans le cœur des Égyptiens. Cette infusion rubis, préparée à partir des fleurs séchées d’hibiscus, accompagne aussi bien les journées torrides d’été servie glacée que les soirées plus fraîches d’hiver, fumante dans de petits verres. Au-delà de son goût acidulé et rafraîchissant, le karkadé possède des propriétés cardiovasculaires aujourd’hui confirmées par plusieurs études scientifiques. Il contribue naturellement à réduire la tension artérielle chez les personnes souffrant d’hypertension légère à modérée, tout en offrant une richesse exceptionnelle en antioxydants grâce aux anthocyanes qui lui donnent cette couleur si caractéristique. Ses effets diurétiques favorisent l’élimination des toxines, et il aide même à réguler le cholestérol.
La préparation traditionnelle varie selon la saison et l’effet recherché. Pour la version froide, si appréciée l’été, on laisse tremper trois à quatre cuillères à soupe de fleurs séchées dans un litre d’eau froide pendant quatre à six heures, avant de filtrer et de sucrer légèrement avec du miel. Mais c’est la version chaude qui révèle pleinement ses vertus thérapeutiques, particulièrement pour la tension artérielle. Il suffit de porter l’eau à ébullition, de retirer du feu et d’ajouter les fleurs, puis de laisser infuser une dizaine de minutes. Dans certains quartiers du Caire, les connaisseurs ajoutent une pincée de gingembre et quelques graines de cardamome pour renforcer les propriétés digestives de la boisson.
Le fenugrec, appelé helba en arabe, fait lui aussi partie intégrante de la culture égyptienne. Traditionnellement offert aux jeunes mères après l’accouchement, il possède une réputation solidement établie de tonifiant. Dans les cafés populaires des vieux quartiers, on le sert dans de petits verres épais, chaud et crémeux, parfumé d’une touche de noix de muscade. Cette graine modeste cache pourtant des vertus multiples. Elle stimule la lactation chez les femmes allaitantes, aide à réguler la glycémie ce qui intéresse particulièrement les personnes prédiabétiques, améliore la digestion et soulage les troubles gastriques. Ses propriétés anti-inflammatoires et son effet bénéfique sur l’appétit en font aussi un allié précieux pour les personnes en convalescence.
Pour préparer la tisane classique de fenugrec, la méthode traditionnelle consiste à faire tremper une cuillère à soupe de graines dans un verre d’eau froide toute la nuit. Le matin, on porte le tout à ébullition pendant trois minutes, on filtre et on boit tiède avec un peu de miel et de citron pour atténuer l’amertume naturelle des graines. Mais la version la plus réconfortante reste sans doute la helba sucrée que l’on trouve dans les cafés durant les soirées fraîches. On fait d’abord griller légèrement les graines à sec dans une casserole jusqu’à ce qu’elles libèrent leur arôme caractéristique, puis on ajoute de l’eau, du lait, du sucre et cette pincée de noix de muscade qui fait toute la différence. Après quinze minutes de mijotage, on obtient une boisson crémeuse, presque veloutée, qui réchauffe autant le corps que l’esprit. Les graines moulues finement peuvent également être incorporées dans les pains, les soupes ou les ragoûts pour un apport nutritionnel supplémentaire, même si leur odeur forte et caractéristique, qui peut se transmettre par la transpiration, invite à une consommation modérée.
La fraîcheur qui apaise
Aucun repas égyptien ne se termine véritablement sans un verre de thé à la menthe fraîche. Cette tradition qui ponctue chaque journée n’est pas qu’une question de convivialité ou de goût, c’est aussi une sagesse digestive transmise de génération en génération. La menthe, que l’on trouve fraîche sur tous les marchés égyptiens, possède des propriétés digestives remarquables qui en font le complément idéal d’une cuisine souvent riche et épicée. Elle soulage les ballonnements, les indigestions et les nausées, apaise le syndrome de l’intestin irritable, et offre même des vertus antimicrobiennes. Son effet rafraîchissant décongestionne les voies respiratoires tandis que son action relaxante naturelle aide à réduire le stress accumulé dans les journées trépidantes du Caire.
La préparation du thé à la menthe égyptien suit un rituel précis. On commence par préparer un thé noir bien corsé, puis dans chaque verre, on ajoute une généreuse poignée de feuilles de menthe fraîche soigneusement lavées. Quand on verse le thé chaud par-dessus, la chaleur libère immédiatement les huiles essentielles de la menthe, créant ce parfum si caractéristique qui embaume les cafés et les maisons. Pour ceux qui souffrent de troubles digestifs, une infusion pure de menthe, sans thé, s’avère plus efficace. Une grosse poignée de feuilles fraîches infusée sept minutes dans un litre d’eau bouillante suffit. Pendant le Ramadan, on prépare aussi une délicieuse limonade à la menthe en mixant menthe fraîche, citron, eau et sucre, une boisson qui rafraîchit tout en facilitant la digestion après le jeûne. En cuisine, la menthe fraîche hachée trouve sa place dans les salades comme le taboulé, les plats de légumes, ou simplement sur du yaourt nature.
Bien que naturelles, ces plantes méritent quelques précautions. Les femmes enceintes devraient éviter le fenugrec en grandes quantités car il possède des propriétés stimulantes utérines. Les personnes sous traitement médical, notamment pour l’hypertension, devraient consulter leur médecin avant de consommer régulièrement de l’hibiscus qui peut interagir avec certains médicaments. Les diabétiques doivent savoir que le fenugrec peut amplifier l’effet des médicaments hypoglycémiants. Dans tous les cas, il est sage de commencer par de petites quantités pour tester sa tolérance personnelle.
Ces plantes médicinales égyptiennes illustrent magnifiquement comment la sagesse populaire rencontre les découvertes scientifiques modernes. Dans un monde où l’on recherche de plus en plus des solutions naturelles et douces aux maux du quotidien, ces remèdes ancestraux offrent une alternative accessible, ancrée dans une tradition millénaire. La prochaine fois que vous dégusterez un verre de karkadé fumant dans la fraîcheur d’une soirée d’octobre au Caire, ou que vous siroterez un thé à la menthe dans un café traditionnel, souvenez-vous que vous ne vous contentez pas de vous réchauffer, vous perpétuez un patrimoine vivant de bien-être, une sagesse thérapeutique qui traverse les siècles depuis l’époque des pharaons jusqu’à nous.